Interview : Zack Snyder pour BATMAN V SUPERMAN

23-03-2016 - 19:05 - Par

Interview : Zack Snyder pour BATMAN V SUPERMAN

Le film opposant les deux figures mythiques de DC est enfin sorti en salles aujourd’hui. Voilà quelques semaines, nous avions interviewé son réalisateur…

Cet entretien a été publié au préalable dans Cinemateaser Magazine n°52 daté mars 2016

Après avoir ressuscité Superman dans MAN OF STEEL, il a été chargé de pérenniser le DC Cinematic Universe avec BATMAN V SUPERMAN. Deux ans après le début du tournage, Zack Snyder nous assure en riant être « vraiment prêt à ce que les gens voient le film ». Comprendre qu’il bout littéralement d’impatience… Ce qui ne l’a pas empêché de répondre à nos questions sur son imagerie, sur l’iconographie pop de la culture comic ou sur le statut mythologique des super-héros. Le tout depuis Londres, où il prépare JUSTICE LEAGUE, réponse de DC aux AVENGERS de Marvel.

 

Snyder-Pic1À quel point votre recul sur MAN OF STEEL a pu influencer ce que vous aviez envie de faire et de ne pas faire avec BATMAN V SUPERMAN ?
Nous avons tous beaucoup appris sur MAN OF STEEL et quand nous avons commencé à travailler sur BATMAN V SUPERMAN, nous étions échauffés, en quelque sorte. Nous n’avions pas à faire autant d’efforts pour établir l’univers. Nous pouvions donc nous permettre de faire un film davantage centré sur les personnages et mû par eux. Pour moi, cela a été vraiment libérateur. Accessoirement, c’était aussi très amusant de m’attaquer à Batman et à sa mythologie…

Dans BATMAN V SUPERMAN, il y a donc Batman, Superman et Wonder Woman. Des rumeurs parlent d’Aquaman, The Flash, Cyborg… Vous avez construit l’univers DC en choisissant les acteurs, les costumes, en déterminant le look visuel global. N’est-ce pas une trop grande responsabilité, sachant que vous ne réaliserez pas les films solos de tous ces personnages ?

Nous établissons tous ces personnages dans BATMAN V SUPERMAN et, alors que nous préparons JUSTICE LEAGUE – le tournage débute le 11 avril –, un seul film solo est en tournage : WONDER WOMAN. Donc, à bien des égards, j’aurai fait un film avec tous les personnages avant même qu’ils aient chacun eu leur film dédié. Du coup, étrangement, j’ai la sensation que les choses sont inversées : j’établis et définis ces personnages dans un contexte très particulier – l’équipe qu’est la Justice League. Ce sera ensuite aux autres réalisateurs de comprendre leurs origines individuelles, d’analyser le cœur et les spécificités de leurs personnalités. Par exemple, si on verra mon style dans une partie du costume design par exemple, Patty (Jenkins, réalisatrice de WONDER WOMAN, ndlr), a vraiment son point de vue sur le personnage de Wonder Woman, sur ses origines.

De L’ARMÉE DES MORTS à SUCKER PUNCH, toute votre filmographie est hautement influencée par la pop culture et son iconographie. Batman, Superman et Wonder Woman sont les icônes ultimes… En un sens, BATMAN V SUPERMAN est un apogée pour vous, non ? Comment aller au-delà, comment faire mieux en termes d’icônes pop ?

C’est une remarque intéressante… Dans le cas de JUSTICE LEAGUE, nous espérons que BATMAN V SUPERMAN soit une sorte de premier chapitre. Cela va paraître étrange à dire mais pour le DC Verse, nous envisageons une saga du type LE SEIGNEUR DES ANNEAUX. J’entends par là que d’un point de vue conceptuel on se demande : ‘Comment avancer avec des personnages aussi imposants ?’ Au départ, vous établissez des personnages totalement mythiques, des personnages que tout le monde connaît. Même pour moi qui réalise ces films, voir la Trinité (Batman/Superman/ Wonder Woman, ndlr) prendre vie à l’image, c’était énorme. Mais vous devez ensuite avancer avec eux – en l’occurrence vers la JUSTICE LEAGUE. Et là, l’ampleur est encore décuplée,
tout un monde se crée avec les Humains, les Atlantes etc. Vous réunissez tous
ces personnages et vous avez alors un univers culturel entier à disposition
avec lequel jouer.

Snyder-Exergue2WATCHMEN était une déconstruction du genre super- héroïque. Mais le film est presque sorti trop tôt : depuis 2009, les comic book movies ont réellement pris le pouvoir à Hollywood. Pensez-vous que BATMAN V SUPERMAN, en raison de la nature iconique des personnages, puisse reprendre la suite de WATCHMEN dans cette idée de déconstruction ?

Je ne pense pas que je rendrais service à ces personnages s’ils n’étaient pas un minimum un vecteur de réflexion sur leurs origines et sur ce qu’ils signifient dans la pop culture… Quant à WATCHMEN, je l’ai revu l’autre jour pour essayer de me ‘rafraîchir’ et… Je crois que le public d’aujourd’hui est prêt pour WATCHMEN. C’est vraiment le premier film super-héroïque choral de cette dimension – qui était censuré R, en plus de ça. En fait, WATCHMEN était tout ce qui, de nos jours, est vu comme cool et fou – prenez DEADPOOL et son irrévérence, regardez AVENGERS et son ampleur… WATCHMEN incarnait déjà toutes ces idées de diverses façons et portait un regard sur elles de manière très particulière. Alan Moore est un génie et ce roman graphique est l’une de mes BD préférées de tous les temps : si vous réfléchissez à la manière dont la pop culture a réagi aux super-héros, vous réalisez la force et la profondeur de cette BD. C’est drôle parce que lorsque nous travaillions sur MAN OF STEEL, Chris Nolan m’avait dit que WATCHMEN semblait être en avance sur son temps. Et parfois, il me semble qu’il l’est encore plus aujourd’hui.

Dans MAN OF STEEL, vous usiez d’une imagerie de la destruction rappelant le 11-septembre. Des trailers de BATMAN V SUPERMAN, on imagine un film hanté par l’après 11-septembre, par les révélations de Snowden etc. Diriez-vous que, comme les films de genre des 60’s traitaient de la Guerre Froide et de la peur nucléaire, les films d’aujourd’hui ne peuvent s’empêcher de parler du terrorisme et du monde créé par le 11-septembre ?
Je crois que tout ça est entré dans l’inconscient collectif… J’ai toujours dit que les super-héros étaient, selon moi, une sorte de Mythologie moderne. Même si nous n’en sommes pas conscients, nous utilisons des personnages et des schémas mythologiques pour nous réconforter de notre manque de contrôle. Nos ancêtres faisaient la même chose : ils ont inventé les personnages mythologiques pour expliquer l’impossible futilité qu’est de batailler contre les désastres naturels : ‘Un volcan en irruption ! Zeus est en pétard contre nous !’ (Rires.) Parce qu’ils ne sont pas impuissants, parce qu’ils ne restent pas inactifs face à l’ennemi, parce qu’ils sont indestructibles et impénétrables comme on aimerait l’être, parce qu’ils agissent de manière héroïque comme on voudrait le faire, ces personnages peuvent nous offrir une sorte de catharsis. Par leurs pouvoirs, ils peuvent mettre un terme aux pires actes maléfiques. C’est réconfortant.

BVS-PicLes symboles de Batman et
Superman sont devenus des logos,
des accessoires de mode. Et dans les BD ou les films, Batman et Superman utilisent l’image pour façonner leur mythe. Diriez-vous que votre passé dans la pub vous permet de comprendre mieux l’imagerie qui sous-tend et dirige ces personnages ?
D’une certaine manière, je le pense, oui. Vous savez, vous n’avez pas besoin de dire les noms des personnages DC : ils existent déjà par leurs logos. Même les personnages plus ‘mineurs’ comme The Flash ou Aquaman. Alors imaginez Wonder Woman, Batman, Superman ou Green Lantern… Ils sont tous immédiatement reconnaissables. Certaines personnes portent des vêtements avec ces logos sans savoir ce qu’ils représentent. Un mec qui porte un t-shirt The Flash ne saura pas forcément qu’il porte un t-shirt The Flash ! Il vous dira peut-être qu’il trouvait juste le logo cool ! En un sens, ces personnages ont transcendé… (Il s’interrompt) Ils ont atteint un statut mythologique et je ne dirais pas nécessairement qu’ils sont des marques dans le sens publicitaire du terme, mais ils sont au moins devenus de l’iconographie pop. Si Andy Warhol était vivant, il réfléchirait sans doute sur les logos des super-héros parce qu’ils disent énormément de choses sur la pop culture. Et c’est ce que j’aime tant là- dedans : les logos de ces super-héros sont transcendants. Quand vous traitez avec des icônes – et leurs logos – de l’ampleur de Batman, Superman ou Wonder Woman, vous comprenez que vous avez affaire à une industrie. Voilà ce que j’ai apprécié dans cette expérience : quand vous avez une chose de cette importance entre les mains, c’est cool d’avoir l’opportunité de lui donner vie. On m’a encouragé à le faire : on voulait de moi que je trouve un moyen de rendre ces icônes réelles. Que je trouve leurs faiblesses. Que je les montre brisées. Que je les montre reprendre le dessus, persévérer, pleurer, rire, mourir ou quoi que ce soit d’autre. Je ne m’attendais pas à ça. Je m’attendais à ce que ces icônes soient protégées.

Justement, comment avez-vous adapté votre réalisation aux nettes différences esthétiques qui séparent Batman et Superman ? Ce sont des quasi-contraires…

J’ai la sensation que pour tout ce qui concerne leur langage visuel respectif – en tant qu’icônes et en tant qu’opposés –, j’ai essayé de laisser les choses se faire aussi naturellement que possible. C’est ensuite dans la composition du cadre que mon point de vue devient une sorte de liant esthétique, qu’il donne la possibilité de combiner les deux personnages à l’image. Si vous préférez, disons qu’il y a plusieurs perspectives et parmi elles, le regard extérieur – celui qui observe – est une force unificatrice qui permet aux deux personnages de coexister dans le même monde.

Snyder-Exergue1Votre style visuel est très marqué et vos films engendrent des réactions très clivées. Est-ce parfois difficile de maintenir votre singularité quand elle suscite autant de critiques ?
C’est vrai que ma carrière a été un grand huit de ce point de vue. Mais aujourd’hui, j’en suis à un point où je ne peux juste pas faire semblant. Je ne peux pas ne pas faire les choses comme j’aime les faire. C’est comme ça. Je ne vais pas aller dans un sens parce que quelqu’un n’aime pas mon point de vue. Souvent, je rétorque que les gens devraient être contents que j’en aie un, de point de vue ! Car c’est assez rare à Hollywood… De plus en plus, le cinéma est fait par des comités qui décident ce qui est cool ou pas. Être furieux contre moi, c’est accepter de se faire dicter son opinion par le collectif. Parfois, des gens me disent que mon point de vue est trop extrême, que ma façon de voir les choses est trop ceci ou pas assez cela. Je leur réponds toujours qu’en soutenant le cinéma fait en comité, ils soutiennent l’idée que, dans le futur, de plus en plus de films seront faits pour mettre en place une esthétique de masse. Une esthétique de masse qui va mener à… C’est comme un tapis roulant de médiocrité. Ce n’est pas mon truc.

Vous avez collaboré avec énormément de très bons acteurs et actrices. À quel point leur apparence (le look, le langage corporel, l’aura) peut influencer la manière dont vous définissez le style de vos films ?
L’esthétique est très importante pour moi donc, forcément, j’aime les excellents acteurs et leur apparence entre en ligne de compte, oui. Prenez Michael Fassbender (qu’il a dirigé dans 300, ndlr). C’est un incroyable comédien qui, en même temps, est très physique – cela peut jouer sur l’esthétique du personnage, la composition d’un plan. Sans même que j’y pense consciemment, les acteurs m’influencent. Surtout que je dessine moi-même les story-boards de mes films… Je connais désormais très bien tous les acteurs de JUSTICE LEAGUE et c’est intéressant de voir que, dans le story-board, je dessine les cadrages et les mouvements des personnages d’une certaine façon car je sais exactement comment les comédiens bougent ! Ce n’est pas conscient mais cela a de l’impact sur la manière dont je cadre. Je sais que Gal (Gadot) aimerait venir en première ligne et Ben (Affleck) est si grand que je dois le placer de telle ou telle façon. C’est toujours intéressant de savoir ce genre de choses et ne pas dessiner au hasard… Chris Terrio et moi nous nous sommes très bien entendus lors de l’écriture de JUSTICE LEAGUE. Quand je lis ses dialogues, j’ai la sensation qu’il a trouvé le ton parfait. Et je sais aussi que les acteurs connaissent leurs personnages. Du coup, en tant qu’équipe, nous devons être au meilleur de nous-mêmes pour créer un environnement confortable et propice à l’épanouissement des comédiens.

Snyder-Pic2Même si les acteurs peuvent influencer votre esthétique,
devant les images de BATMAN V SUPERMAN, on a la sensation que vous avez créé le premier Batman de cinéma qui semble tout droit sorti d’une page de comic…
Je suis un fan de Batman depuis toujours et j’avais des idées très précises sur la manière dont il devait bouger ou se battre à l’écran. Sur ce à quoi il devait ressembler. J’avais des idées tout aussi précises sur Bruce Wayne – il ne s’excuse pas, c’est un homme brisé. Il ne fait pas semblant. Soit il combat le crime soit il essaie de ne pas y penser. Ben m’a tout de suite compris. Sa manière de bouger et de se battre correspond exactement, et de manière naturelle, à ce que j’avais en tête. Il m’a vraiment permis de réaliser ma vision.

Quand vous en aurez fini avec JUSTICE LEAGUE PART 2, votre filmographie sera à moitié consacrée au DC Verse. N’est-ce pas effrayant de ne pas pouvoir penser à autre chose pendant aussi longtemps ?
Si, c’est assez fou… Nous essayons actuellement de planifier le film que je pourrais faire après JUSTICE LEAGUE. Deborah (sa productrice et épouse, ndlr) et moi, on travaille sur quelques scripts ici et là. Nous sommes très excités par JUSTICE LEAGUE, c’est un projet rêvé pour moi car j’aime profondément ces personnages. C’est donc une joie mais en même temps, vous avez raison, il doit y avoir une vie après DC. Mais quoi ? J’avais beaucoup de projets ‘imminents’ avant d’être embarqué dans cette aventure ! (Rires.)

 

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