Cannes 2016 : ELLE / Critique

21-05-2016 - 10:43 - Par

Cannes 2016 : ELLE

De Paul Verhoeven. Sélection officielle, En compétition.

Synopsis : Michèle fait partie de ces femmes que rien ne semble atteindre. À la tête d’une grande entreprise de jeux vidéo, elle gère ses affaires comme sa vie sentimentale : d’une main de fer. Sa vie bascule lorsqu’elle est agressée chez elle par un mystérieux inconnu. Inébranlable, Michèle se met à le traquer en retour. Un jeu étrange s’installe alors entre eux. Un jeu qui, à tout instant, peut dégénérer.

Il faut pouvoir dépassionner l’expérience qu’on a vécue face à ELLE pour pouvoir l’apprécier. A priori, ce que le film raconte est repoussant. Mais il s’agit d’une fiction au carré, pas d’une chronique réaliste. Hors de question d’extrapoler, d’en faire un film de sociologue ou de pages psycho de magazines féminins. Le titre est singulier et non pluriel. Le cas est particulier : celui d’une quinquagénaire, dont l’enfance l’a rendue un brin sociopathe, qui gère à sa manière le viol qu’elle a subi. C’est-à-dire pas du tout comme vous pouvez imaginer qu’une victime d’un acte aussi horrible réagirait. Entre le déni, la peur et… le plaisir. ELLE ne dit pas que les femmes prennent du plaisir dans la violence sexuelle, ni qu’un non veut dire oui : mais ELLE affirme que cette femme-là, avec ce passé morbide et cette pensée très particulière, est circonspecte, voire curieuse, face à ce qu’elle a enduré. En vieillissant, Paul Verhoeven n’a pas transigé sur la provocation, même si on se serait bien passé d’une scène de masturbation avec vue sur une crèche de Noël. Son film est donc une galerie d’humains, tous assez médiocres dans divers domaines, au milieu de laquelle trône la reine mère : Michèle, habituée à attirer le mépris et la haine, vivant dans un rapport assez fonctionnel à l’autre, revenue du sentimentalisme. Une mère capable de statuer au visage de son fils, bientôt papa, qu’avoir un enfant n’est qu’une source de souffrance. ELLE est un film de créatures très seules où le sexe, même le plus consentant, ne serait qu’un outil de plus pour posséder l’autre. Dans la peau de son personnage tapé, drapé dans le sarcasme, Isabelle Huppert – qui livre comme un idéal d’interprétation – emmène le film avec elle dans une transe perverse et orchestre la déliquescence de la petite bourgeoisie de banlieue. S’il s’en prend aux Cathos, dévots dehors dégueus dedans, aux hommes (tous un peu bandeurs mou), Paul Verhoeven signe aussi un portrait subversif des femmes qui se repaissent de l’hystérie ou, au contraire, la fuient comme la peste au risque de devenir des frigides sociales. Michèle est insoumise à ses propres sentiments, aux codes sociaux, ce qui en fait un personnage aussi fascinant que monstrueux. ELLE est aussi tordu et odieux qu’elle. Mais il l’est avec une flamboyance et un aplomb qui forcent l’admiration. A l’instar de TRICKED, son dernier film produit en Hollande, ELLE ne marque pas le retour du grand Verhoeven formaliste. Mais il réaffirme de manière singulière la puissance et la perversité d’un grand metteur en scène qui dirige le cadre et les comédiens à l’unisson de son regard cinglant.

De Paul Verhoeven. Avec Isabelle Huppert, Laurent Lafitte, Charles Berling. France. 2h10. Sortie le 25 mai

 

 

 

 

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