Cannes 2016 : DIAMOND ISLAND / Critique

14-05-2016 - 15:27 - Par

Cannes 2016 : DIAMOND ISLAND

De Davy Chou. Semaine de la critique, en compétition.

Synopsis officiel : Bora, 18 ans, quitte son village pour travailler sur les chantiers de Diamond Island, projet de paradis ultra-moderne pour les riches et symbole du Cambodge du futur. Il s’y lie d’amitié avec d’autres jeunes ouvriers, jusqu’à ce qu’il retrouve son frère aîné, le charismatique Solei, disparu cinq ans plus tôt. Solei lui ouvre alors les portes d’un monde excitant, celui d’une jeunesse urbaine et nantie, ses filles, ses nuits et ses illusions.

On va à Cannes pour se laisser emporter. DIAMOND ISLAND est peut-être le plus beau voyage que l’on ait fait jusque-là. Chronique d’une jeunesse cambodgienne en pleine émancipation, le film de Davy Chou a l’élégance de construire son propos politique par l’un des genres les plus balisés et peut-être les plus périlleux du cinéma : le teen movie. Attention, pas un teen movie théorique, vaguement intéressé par les émois adolescents, mais une vraie attention aux fluctuations des corps et des émotions de ses adultes en devenir.

Cette affiliation au genre donne au film sa structure dramatique, certes un peu balisée (l’histoire d’un aller-retour entre la ville et la campagne) mais elle permet au réalisateur de s’enivrer des naïvetés de ses personnages, de s’attarder sur ces moments infimes qui sont pourtant pour eux une montagne à franchir. Draguer, conduire, s’imposer dans une bande, trouver sa place tout simplement, sont autant d’étapes que le film capte avec une poésie singulière, une esthétique aux confins du cinéma asiatique et américain. DIAMOND ISLAND, c’est SPRINGBREAKERS par Hou Hsiao Hsien, RUSTY JAMES par Weerasethakul. Un teen movie fantomatique et éthéré sous les néons fluos du Cambodge, entre extase clipesque et stase de mélancolie. Visuellement, le film est grisant. Le travail formel très poussé entraîne le film vers un onirisme pop, une poésie urbaine que le réalisateur maîtrise parfaitement. Film de frontière, DIAMOND ISLAND cherche en permanence un « entre-deux » entre le réel (la modernisation effrénée du Cambodge, la fracture Ville / Campagne, les errements de la jeunesse) et un monde intime, quasi métaphorique avec ce grand frère idéalisé, comme une version cambodgienne du James Dean de LA FUREUR DE VIVRE.

Comme chez David Robert Mitchell (THE MYTH OF THE AMERICAN SLEEPOVER, IT FOLLOWS), la douceur formelle cache une violence sourde (ici, plus sociale que physique), une inquiétude latente qui donne l’impression que le film pourrait choisir à tout instant de se cogner contre la crudité du réel ou de se perdre définitivement dans les égarements du rêve. On regrette peut-être que le film étire en longueur ses effets, jouant de la répétition des scènes et de la torpeur du récit. DIAMOND ISLAND a malheureusement les défauts pardonnables d’un premier long : l’envie de tout raconter, d’être partout à la fois. À trop vouloir naviguer entre les mondes et les styles, le film peut perdre son spectateur. Il faut alors s’accrocher aux sensations plus qu’au récit, se laisser bercer, balloter par la pop cambodgienne, les karaokés romantiques et les apparitions quasi fantomatiques des personnages. DIAMOND ISLAND dilue peut-être un peu trop son propos pour emporter totalement, joue parfois trop sur la patience du spectateur et son appétit des temps suspendus. Ce n’est qu’une affaire de réglage. Car en l’état ce premier film dévoile toutes les qualités d’un cinéma à la puissance esthétique et émotionnelle vraiment singulière.

De Davy Chou. Avec Sobon Noun, Cheanik Nov, Madeza Cheem. Cambodge/France. 1h41. Prochainement

 

 

 

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