Cannes 2016 : VICTORIA / Critique

12-05-2016 - 13:48 - Par

Cannes 2016 : VICTORIA

De Justine Triet. Semaine de la critique, séance spéciale, ouverture.

Synopsis officiel : Victoria Spick, avocate pénaliste en plein néant sentimental, débarque à un mariage où elle y retrouve son ami Vincent et Sam, un ex dealer qu’elle a sorti d’affaire. Le lendemain, Vincent est accusé de tentative de meurtre par sa compagne. Seul témoin de la scène, le chien de la victime. Victoria accepte à contrecœur de défendre Vincent tandis qu’elle embauche Sam comme jeune homme au pair. Le début d’une série de cataclysmes pour Victoria.

En 2013, Justine Triet avait frappé un grand coup sur la Croisette, par la petite porte de Cannes. Présenté à l’ACID, sa BATAILLE DE SOLFERINO réussissait à mêler avec un brio rare le psychodrame impudique, la comédie de mœurs et l’immersion quasi documentaire dans une France ballotée entre hystérie et euphorie. Après ce long métrage tonitruant, c’est peu dire qu’on attendait la suite. VICTORIA, présenté en ouverture de la Semaine de la Critique, est à la fois une confirmation et une petite déception. Difficile de départager vraiment son sentiment devant un film plein d’idées et de personnages merveilleusement écrits, un film avec un vrai ton comique singulier qui bouscule les frontières bien trop rigides de la comédie « à la française » et qui pourtant semble n’être jamais totalement accompli, ne jamais véritablement trouver son bon tempo.

Portrait d’une quadra en plein surmenage professionnel et affectif, VICTORIA ne sait jamais vraiment ce qu’il veut être. C’est à la fois sa plus grande qualité et in fine son défaut. Justine Triet a un vrai regard, brillant, qui rafraîchit la comédie en osant un personnage féminin décomplexé dont la liberté et la singularité ont l’élégance de n’être jamais ostentatoires. Victoria aime, n’aime plus, baise, boit, s’énerve, dérape ou s’effondre avec une nonchalance, une façon de ne jamais s’excuser qui fait un bien fou. En ce sens, remercions Justine Triet de faire une vraie comédie féministe, c’est-à-dire non pas un film qui se justifierait en tant que « féministe » mais un film sur une femme, tout simplement, avec ses paradoxes à elle. Victoria n’est ni un symbole, ni même vraiment un modèle. L’audace de Triet vient dans le renversement ingénieux des structures classiques de la comédie girly : d’ordinaire, Victoria serait une brave fille, un peu larguée, entourée d’électrons libres qui la forceraient à devenir quelqu’un de mieux. Le trajet du personnage, pensé par Triet, est plus audacieux. Sans prévenir, VICTORIA devient l’histoire d’une dépression, d’un burn-out inopiné. L’effet est déconcertant : après une première partie au swing comique et absurde imparable, Justine Triet ose regarder sa jolie comédie et son personnage tourbillon s’effondrer sur eux-mêmes. L’audace est belle et rétrospectivement, on admire combien le film est comme ouvert à l’imprévu. Mais difficile pour le spectateur de se remettre de ce sevrage abrupt de romcom loufoque et confortable. La bascule du film amène forcément une petite déception, quelque chose d’inaccompli, d’un peu bancal qui bien qu’intéressant, sape un peu le plaisir.

Après la tempête, Victoria redémarre et on a du mal à y croire. Pourtant tout est encore là : Efira, formidable et étonnante, Vincent Lacoste toujours parfait, Laure Calamy, géniale comme toujours. Mais à force d’effets, de clins d’œil et surtout d’auto-justification (une intrigue superflue sur le droit à l’auto-fiction), la seconde partie de VICTORIA perd en spontanéité. On a surtout l’impression que Victoria, à l’instar d’Ally McBeal à laquelle elle doit sûrement beaucoup, ferait davantage une formidable héroïne de série télévisée. On aurait envie de la suivre au quotidien, de la retrouver chaque semaine, de passer plus de temps avec elle non pas pour aller vers une fin mais bien, juste, pour avoir le plaisir de la fréquenter. C’est toute la réussite du film de Justine Triet et sa défaite partielle : un grand personnage qui semble un peu à l’étroit au cinéma. Devant VICTORIA, on a le sentiment étrange de visionner comme une saison entière avec ses fluctuations de rythmes, ses répétitions et ses péripéties, tout ça malheureusement condensé en deux heures. Avec la fréquence sériel, on sent que Justine Triet aurait pu tirer le meilleur de chaque scène, pousser les sourires, les malaises, l’absurde et les ruptures de ton encore plus loin. À l’état de film, VICTORIA n’en donne hélas qu’un joli mais trop fugace aperçu.

De Justine Triet. Avec Virginie Efira, Vincent Lacoste, Melvil Poupaud. France. 1h30. Prochainement

 

 

 

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