Cannes 2016 : JULIETA / Critique

17-05-2016 - 10:20 - Par

Cannes 2016 : JULIETA

De Pedro Almodovar. Sélection officielle, En Compétition.

Synopsis (officiel) : Julieta s’apprête à quitter Madrid définitivement lorsqu’une rencontre fortuite avec Bea, l’amie d’enfance de sa fille Antía la pousse à changer ses projets. Bea lui apprend qu’elle a croisé Antía une semaine plus tôt. Julieta se met alors à nourrir l’espoir de retrouvailles avec sa fille qu’elle n’a pas vu depuis des années. Elle décide de lui écrire tout ce qu’elle a gardé secret depuis toujours. Julieta parle du destin, de la culpabilité, de la lutte d’une mère pour survivre à l’incertitude, et de ce mystère insondable qui nous pousse à abandonner les êtres que nous aimons en les effaçant de notre vie comme s’ils n’avaient jamais existé.

Que ce soit entendu une fois pour toutes, Pedro Almodovar n’est plus le cinéaste de la Movida. Cela fait bien vingt ans que, lorsqu’il tente de retrouver son énergie pop ou une libido débridée, c’est pour ses pires films, de KIKA aux récents AMANTS PASSAGERS. Au fil des années, Almodovar s’est assagi, a laissé tomber John Waters pour lorgner sur Douglas Sirk – la période TALONS AIGUILLES, TOUT SUR MA MERE – et, aujourd’hui, une glaciation sentimentale à la Bergman. JULIETA explore une souffrance : celle d’une mère qui ne s’est jamais remise de la disparition soudaine de sa fille et se raccroche, des années après, à sa potentielle réapparition. Absence de communication mère-fille, remontée à la surface du passé, poids de la culpabilité… Du Almodovar pur jus, mais torréfié : JULIETA se flagelle… jusqu’à refuser d’être un mélo. Le fond de ce film est sec, repousse les cascades de larmes et prive les spectateurs de catharsis. Les bons sentiments, ce sera pour après, hors-champ, dans cet épilogue abrupt. Pas de climax, juste la douleur de cette femme s’autoanalysant, fouillant dans son passé. JULIETA est le fruit d’un des plus gros paris que se soit lancé Almodovar : filmer l’absence et il n’y parvient jamais. Ce film est l’un de ses plus « pleins » – de personnages secondaires, de symboliques (un autoportrait de Lucian Freud, par ci, une statue au sexe coupé par là), de traumatismes (au bas mot, un suicide, une sclérose en plaques, deux noyades et un accident de voiture) voire de musique (Alberto Iglesia se chargeant des violons dans un score omniprésent). D’où ce sentiment prégnant que le film tangue entre une mise en scène très élégante – le plan de transition entre les deux âges de Julieta restera comme un sommet du raccord – et un récit surchargé. La faute à une envie claire de littérature chez l’Espagnol, qui débite les digressions feuilletonnesques au gré des séquences, engloutit trois nouvelles d’Alice Munro dans un seul scénario. Une littérature qui suinte jusque par les pores des personnages – l’un d’eux dira même ne plus supporter d’avoir l’impression d’être dans un roman de Patricia Highsmith. Elle pousse parfois à regarder JULIETA comme on lit certains romans : en diagonale. La remarquable performance d’Emma Suarez au visage qui se parchemine, desséché par l’incompréhension, n’y changera rien. JULIETA ne pourra pas atteindre les hauteurs de TOUT SUR MA MERE, parce qu’il ne dit rien ou presque sur cette fille qui part sans se retourner. A l’origine, JULIETA s’intitulait SILENCIO et devait être le premier film américain d’Almodovar. A l’arrivée, bien que belle et rugueuse, cette chronique d’une dépression reste trop bruyante pour rivaliser avec ce que sait faire avec une matière similaire un réalisateur comme Todd Haynes.

De Pedro Almodovar. Avec Emma Suárez, Adriana Ugarte, Daniel Grao. Espagnol. Sortie le 18 mai

 

 

 

 

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