Cannes 2016 : NERUDA / Critique

13-05-2016 - 23:32 - Par

Cannes 2016 : NERUDA

De Pablo Larrain. Quinzaine des Réalisateurs.

Synopsis (officiel) : 1948, la Guerre Froide s’est propagée jusqu’au Chili. Au Congrès, le sénateur Pablo Neruda critique ouvertement le gouvernement. Le président Videla demande alors sa destitution et confie au redoutable inspecteur Óscar Peluchonneau le soin de procéder à l’arrestation du poète. Neruda et son épouse, la peintre Delia del Carril, échouent à quitter le pays et sont alors dans l’obligation de se cacher. Il joue avec l’inspecteur, laisse volontairement des indices pour rendre cette traque encore plus dangereuse et plus intime. Dans ce jeu du chat et de la souris, Neruda voit l’occasion de se réinventer et de devenir à la fois un symbole pour la liberté et une légende littéraire.

Pablo Neruda (Luis Gnecco) s’était créé un monde à lui, un univers romanesque dont il était le héros. Un peu arrogant, un peu narcissique, intellectuel et artiste, insufflant de la gauche radicale dans les mondanités. Féru de polars, il sème des romans noirs partout où il passe à l’attention d’Oscar Peluchonneau (Gael Garcia Bernal), l’inspecteur à ses trousses. Neruda, figure résistante communiste dans un Chili autoritaire, est en fuite. Il ne craint même pas pour sa vie, c’est lui qui dicte les règles, semble-t-il. Après une entrée en matière abrupte, presque péremptoire (on est perdus pendant une bonne vingtaine de minutes), Pablo Larrain finit par suivre son héros à la trace dans un fabuleux jeu de piste aussi politique que poétique. Il illustre le monde de l’artiste-penseur avec un écrin sublime. Après ses premiers films, le réalisateur a troqué son majestueux statisme pour de sublimes expériences formelles, une image laiteuse ornée d’halos irréels. Depuis NO, il manie même l’image et le mouvement avec une audace inouïe. Mais ici plus que jamais, le cinéaste énervé met du chic dans ses cadres. On roule en bagnoles sur des décors incrustés empruntés aux films noirs des 40’s. On porte le par-dessus avec une grande élégance, on surjoue du regard. La voix off, celle de Peluchonneau, nous emmène, en faisant plein de mystères, dans un récit postmoderne halluciné et hallucinant. NERUDA est le récit d’un grand récit, le film du film de la vie du poète. La terrible Histoire est racontée grâce à un dispositif ludique et un ton franchement décoincé. En plus d’être un ressort comique imparable permettant de moquer la répression, Peluchonneau (« à moitié abruti, à moitié con » nous dit-on) cristallise la vanité de ceux qui veulent coûte que coûte faire l’Histoire. Il court après Neruda, il est son cauchemar, sa chimère et le poète le lui rend bien. L’oppression combat un idéal, l’idéal combat l’oppression. Un face-à-face qui n’a jamais lieu. Et du film noir, NERUDA glisse sans avoir l’air d’y toucher vers le western neigeux, immense, fantasmatique, presque Tarantinien. Parce que Larrain a l’indécent talent pour le faire. Jusque-là son cinéma était massif, revêche, souvent mal-aimable. Aujourd’hui, il est diabolique dans sa maîtrise plastique et narrative. Toujours aussi orgueilleux, toujours aussi insolent, il est aussi devenu une évidence.

De Pablo Larrain. Avec Gael Garcia Bernal, Alfredo Castro, Mercedes Moran. France/Chili. 1h47. Prochainement

 

 

 

 

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