BLOOD FATHER / Interview : C’est quoi un film de Jean-François Richet ?

29-08-2016 - 15:18 - Par

BLOOD FATHER / Interview : C’est quoi un film de Jean-François Richet ?

À l’occasion de la sortie de son nouveau film, BLOOD FATHER, dans lequel il dirige Mel Gibson, nous avons tenté de décoder avec lui la filmographie de Jean-François Richet.

 

Cet entretien a été publié au préalable dans le magazine Cinemateaser n°56 daté été 2016

Qu’il emprunte les voies du socioréalisme (ÉTAT DES LIEUX, MA 6-T VA CRACK-ER) ou la patine américaine (ASSAUT SUR LE CENTRAL 13), Jean-François Richet raconte depuis 20 ans des histoires énervées et des héros révoltés. Avec MESRINE, il a même offert à la France deux de ses meilleurs polars et aujourd’hui, dans BLOOD FATHER, il propose à Mel Gibson l’un de ses rôles les plus émouvants. Politique, mise en scène, influences : Jean-François Richet dessine les contours de son cinéma.

 

Blood-Father1Si on vous demande ‘C’est quoi un film de Jean-François Richet’, vous diriez quoi ?
Que vous savez mieux que moi ! Je n’ai jamais fait de psychanalyse… et puis surtout j’accepte d’être contradictoire, d’avoir changé au fil du temps. L’époque a changé aussi. Il y a des films que je referais aujourd’hui, mais sans doute pas de la même manière. Après, je m’aperçois effectivement que mes films vont souvent vers le drame. Même quand je m’essaie à la comédie – j’en ai fait deux –, ça finit quand même mal. (Rires.)

Vous n’avez pas une volonté d’exprimer quelque chose d’intime qui relierait tous vos films ?
Si j’avais une thématique à sortir de mes films – et évidemment, elle est plus prononcée dans certains d’entre eux –, ce serait des personnages qui disent ‘non’. Quelqu’un a dit : ‘la liberté, c’est savoir dire non’, même si je pense qu’il ne suffit pas de dire non pour être libre. Que ce soit Mesrine ou John Link, le personnage de BLOOD FATHER, ce sont des mecs qui disent non. Mes personnages disent non au déterminisme social. Dire oui, c’est la tranquillité. Cela dit, je crois que même quand tu dis non, ton capital social finit toujours par te rattraper.

Quand les Cahiers du Cinéma font leur couverture sur « le vide politique du cinéma français » en prenant une photo de votre film UN MOMENT D’ÉGAREMENT, ça vous blesse ?
Je n’ai rien contre les Cahiers du Cinéma et je suis ravi qu’ils existent. Mais ils n’ont plus de ligne éditoriale, le journaliste qui a écrit l’article en question est un spécialiste du cinéma de genre et pas du cinéma politique. Quand il dit qu’un film n’est pas politique, il oublie que tous les films le sont – il faudrait qu’il relise les Cahiers, justement. Ce n’est pas bien grave. Il fut une époque où je lisais tout et aujourd’hui, je ne lis plus rien. Parce qu’on s’en fout… Il critique le soi-disant vide politique du cinéma français en prenant pour exemple mon film, un film de Audiard et de Gaspar Noé, c’est plutôt flatteur, je suis bien entouré. Un seul film ne détermine pas le metteur en scène pour moi – à part peut-être le premier. Tu fais un film, puis un autre, puis un autre et avec le recul, on verra si c’est cohérent. Il y a des films moins bons que d’autres, certains qui sont insurgés et d’autres moins. Personnellement, je considère que lorsque je m’attèle à un sujet comme UN MOMENT D’ÉGAREMENT, je dois m’effacer davantage que sur MESRINE parce que sinon, cela signifie que je me crois supérieur à mon sujet. Et il n’y a rien de pire pour un metteur en scène. Je suis féru de films de genre et j’aime trouver ma place avec cette codification. Je ne voulais pas non plus chambouler la comédie romantique. J’ai fait UN MOMENT D’ÉGAREMENT pour bosser avec Vincent (Cassel), Thomas (Langmann) et François (Cluzet) – que je ne connaissais pas. Et si je l’ai fait aussi, c’est parce que mon précédent film, c’était MESRINE, et que je devais ensuite enchaîner avec BLOOD FATHER. Pour moi, c’était une respiration. Qu’on soit moins friand de certains genres, OK. Qu’on veuille me mettre tout le poids politique du cinéma français…

JFR-Exergue1Est-ce que cet article ne mettait quand même pas le doigt sur quelque chose ? Que pour pouvoir bosser, comme on a l’impression que ça a été le cas pour Florent Emilio-Siri lorsqu’il a fait PENSION COMPLÈTE, vous êtes un peu ‘obligé’ de vous conformer à un certain cinéma français ?
Non. En fin de compte, qu’est-ce que j’ai lu dans cet article ? Ce journaliste m’a tellement aimé qu’il est déçu que je fasse UN MOMENT D’ÉGAREMENT. C’est qu’un film ! Le public l’a apprécié, en tout cas. Je connais mal Florent Emilio-Siri mais en ce qui me concerne, personne ne m’a forcé à faire UN MOMENT D’ÉGAREMENT. C’est moi qui ai voulu le faire ! C’était un projet de Thomas Langmann. Je lui disais que je voulais le faire et il n’arrêtait pas de me dire non. Mais aucun des réalisateurs qu’il avait contactés n’ont réussi à écrire le scénario ou ils s’en sont détachés. Alors je l’ai convaincu de me confier le projet. Je l’ai écrit, je l’ai fait lire à Vincent et ça s’est monté comme ça. C’est toujours très bizarre quand les gens t’expliquent qui tu es sans te connaître dans l’intimité. Ils connaissent MA 6-T VA CRAQUER, MESRINE, j’espère bientôt BLOOD FATHER… Mais je ne suis pas que ça.

Vous avez toujours revendiqué des inspirations de gauche…
Non. Prolétariennes. Parce que la gauche, c’est la gauche du « Capital » et ça ne m’intéresse pas.

Mais vous comprenez que faire une comédie avec Cassel et Cluzet puisse apparaître bourgeois ?
Honnêtement, on peut me placer dans n’importe quel camp, je m’en fous. Bobos ou bourges, ça va être difficile… Réac’… Oui à la limite. J’assume : je suis réac’, ‘en réaction’. Je suis conservateur car hélas, je pense que les choses étaient mieux avant – l’éducation des mômes, l’Education Nationale, la cohésion citoyenne etc.

Diriez-vous que vous ou votre cinéma êtes anachronique ?
Oui. BLOOD FATHER n’a pas beaucoup d’argent – j’ai eu le même budget qu’UN MOMENT D’ÉGAREMENT. Sur le tournage, je n’ai pas de travelling, je n’ai pas de bras de déport sur une voiture – ça coûte 500 euros. Bien sûr qu’on pourrait l’avoir, ce bras de déport, mais ça prend deux heures à installer et on a 8 semaines pour faire le film… Au montage, je me suis rendu compte que ce que j’avais voulu faire avec BLOOD FATHER, c’était une sorte d’hommage à ce que pouvaient faire des réalisateurs comme Don Siegel ou Ted Post. Un cinéma où on fait comme on peut, où on veut raconter une histoire, où ce qui compte, c’est le personnage… J’ai la chance d’avoir Mel Gibson : je sais que si j’ai un problème, il me suffit de faire un gros plan ! Ce qui m’intéressait, ce n’était pas l’action mais les personnages. Si on devait établir une filiation – sans que l’on fasse de comparaison de talent –, ce serait un certain cinéma de la fin des années 70. Pas autre chose.

Que ce soit Cassel dans MESRINE ou Gibson dans BLOOD FATHER, vous avez un plaisir visible à filmer l’acteur, voire la virilité. Votre cinéma est-il masculin ?
Je ne sais pas… Sur MESRINE par exemple, on s’est aperçu que le taux de satisfaction chez les femmes était incroyable.

Vos films peuvent être masculins sans s’adresser aux hommes pour autant… Avez-vous plus de plaisir à filmer des acteurs ou êtes-vous plus à l’aise avec des personnages masculins ?
Non. Mel Gibson est un peu différent car, comme Stallone, c’est une figure iconique. On a grandi avec Gibson et Stallone. Ce sont les deux seuls acteurs dont les films sont de vrais jalons qui correspondent à des périodes très précises. Pour BLOOD FATHER, je me disais que John Link, ça ne pouvait être que Mel. Bien sûr, il y a d’autres stars mais dont le cinéma ne m’a pas bercé de la même manière – Kevin Costner, Bruce Willis ou Tom Cruise, qui sont de très bons acteurs par ailleurs. Pour revenir à la question, indépendamment de cet aspect iconique qu’ont Mel et Stallone, j’aurais peut-être autant voire plus de plaisir à filmer Jessica Chastain. ‘Cinéma masculin’, je ne sais pas trop ce que ça veut dire… J’espère en tout cas ne pas faire un cinéma de testostérone.

Disons que voir Mel Gibson dans un de vos films, c’est logique. BLOOD FATHER, c’est le cinéma B des années 70/80…
C’est exactement ça.

JFR-Exergue2C’est un cinéma sans fioriture, sans vanité, d’artisan. Et voir Mel Gibson là-dedans, c’est naturel.
Oui. C’est une convergence de talents : Mel, le scénariste, les producteurs qui nous font confiance – BLOOD FATHER est une production française. C’est aussi une question de budget. Le film aurait été différent avec 10 millions de plus. Je ne dis pas qu’il aurait été mieux. Mais différent. Dans la réalisation, il faut être un peu pragmatique. Je n’aurais pas pu faire MESRINE avec 10 millions de budget – il coûtait quatre fois plus. Je voulais que BLOOD FATHER soit un film terrien – et dans ses cadrages, il est construit comme ça. Il fallait rester à la hauteur du personnage. C’est un homme terre-à-terre. Donc cela induisait une caméra à l’épaule, certaines focales, pas de mouvements de grue ni de contre-plongées.

Dans BLOOD FATHER, l’écriture est très réaliste dans un contexte romanesque – ce père qui prend les armes pour défendre sa fille. Diriez-vous que c’est ça, votre cinéma ? Qu’il remet du réalisme dans le romanesque ?
Je ne sais pas s’il y a du romanesque là-dedans. Car en soi, je pense que tous les pères veulent défendre leur fille et ce qui empêche ensuite de le faire, de se venger ou autre, c’est la société, ses règles – on n’est pas des barbares ! La dimension romantique de BLOOD FATHER, à la limite, c’est l’idée du sacrifice, qui est une thématique classique.

Central13Pourtant, c’était aussi votre ambition dans MESRINE : les films étaient très romanesques mais ils restaient très terre-à-terre…
Oui… Vous venez de me révéler quelque chose sur mon cinéma dont je n’avais pas conscience… Je ne suis pas naïf mais à mes yeux le plus grand sentiment, c’est l’amour. Les armes ne me fascinent pas, la vengeance non plus. Il reste l’amour. Je différencie la réalisation de la mise en scène. Pour moi, la mise en scène, c’est gérer la manière dont un personnage se déplace, dans un espace donné, en fonction d’une motivation. La réalisation, c’est la caméra – pourquoi choisir un plan large, un gros plan, un travelling ou une sortie de champ, peu importe. Dans ma mise en scène, j’essaie toujours de revenir à des instincts premiers, à quelque chose d’animal. C’est pour ça que ça a collé avec Vincent et Mel. Quand je filme un acteur, je veux qu’il me montre avec des gestes ce que le personnage éprouve. Le personnage qui est comme ça [il penche le visage, immobile], torturé, et dont on doit deviner ce qu’il ressent, ça ne m’intéresse pas. Pour moi, il ne doit pas y avoir de second degré.

Vous êtes dans la mise en scène très rationnelle, donc.
C’est l’école Eisenstein ! J’ai été élevé par ce cinéma-là, j’ai appris avec ces films-là. Il ne faut jamais se croire plus intelligent que ses personnages : ils ont des motivations et mon métier, c’est de les rendre accessibles au public. Le chef-d’œuvre absolu dans le genre, c’est OTHELLO d’Orson Welles. C’est indépassable. Tu sais constamment pourquoi les personnages se déplacent et c’est une évidence. Welles sait que le texte est assez fort, tout comme les relations entre les personnages. J’aime ce cinéma organique et primaire. Concret et pragmatique.

Aujourd’hui, quels seraient les cinéastes qui font encore ce cinéma ?
Fincher et Nolan. Eastwood, évidemment. Michael Mann. Et ensuite, tu as la réalisation qui se greffe là-dessus. Lelouch est à mes yeux un très grand cinéaste. Il me semble que c’est dans UN HOMME ET UNE FEMME, Trintignant regarde par la fenêtre. Comment le réalisateur, juste avec sa caméra, peut faire comprendre à ce moment qu’il y a un vide dans la tête du personnage ? N’importe quel réalisateur fera un petit travelling doux sur le visage. Lelouch lui, il fait un panoramique à 360° et il filme la pièce vide. Ça, c’est de la réalisation ! Ce n’est pas de l’illustration ! Lelouch, c’est un vrai cinéaste et peu importe qu’il fasse cette scène de manière sensorielle ou intellectuelle. Que tu aimes ou pas un film, devant un plan pareil, tu es obligé de reconnaître que le mec a fait acte de génie.

Blood-Father2Est-ce que Mel Gibson, lui-même réalisateur mais dans un genre plus foisonnant, saisit cette façon très pragmatique de mettre en scène ?
On n’a jamais parlé de mise en scène ensemble. Mel est dans mon top 5 de mes réalisateurs contemporains préférés. Donc je lui ai dit toute l’admiration que j’avais pour lui et on n’en a plus reparlé. Il a un point commun avec Vincent – et ça doit venir du fait qu’ils sont de grands acteurs –, c’est qu’il ne parle que de motivations du personnage. Un jour, je le voyais marmonner dans son coin, alors que je plaçais ma caméra. Je lui demande ce qui ne va pas et il me dit : ‘Je comprends pas mais c’est OK, tout va bien’. Il est humble et il te fait confiance. Bien sûr, au début on s’est cherché. Mais au bout d’une journée, on s’est compris. La relation avec l’acteur elle ne se fait pas que sur un plateau, on discute de beaucoup de choses, de la vie…

Vous citez Claude Lelouch, Sergueï Eisenstein… Quand, dans BLOOD FATHER, on voit Mel Gibson vivre dans une caravane, on pense surtout à L’ARME FATALE. Vu votre âge, on s’imagine qu’elle est là, votre culture… Mais est-ce vraiment ce cinéma qui vous influence ?
Non. Pour être tout à fait concret, j’aurais pu avoir un autre acteur que Mel et le personnage aurait quand même vécu dans une caravane… Parce que c’est dans le livre ! Pareil pour le canon scié. Pour être simple, je trouvais ça chiant qu’il ait un petit flingue comme les méchants. Donc on a opté pour un fusil à canon scié. Du coup, mon frère me montre sur Internet tous ces articles qui parlaient d’hommage [à MAD MAX]. Mais non. Ce n’est pas du tout comme ça que ça se passe. Après, c’est vrai qu’à partir du moment où j’ai Mel dans un désert, sous le soleil… Si j’avais eu Kevin Costner, le public aurait remarqué d’autres choses, en rapport avec ses anciens films à lui.

Mais est-ce que choisir un acteur, ce n’est pas aussi s’inscrire dans une cinéphilie ?
Inconsciemment, mais cela ne peut qu’apparaître présomptueux parce que Mel a fait de sacrés films… Truffaut disait que 50% de la mise en scène est dans le choix de l’acteur et c’est un peu vrai… Sur BLOOD FATHER, on a proposé à Mel et il a accepté. Pas une seule fois j’ai pensé à MAD MAX ou L’ARME FATALE sur le tournage.

Vous savez pourquoi il a accepté de faire BLOOD FATHER ?
Le scénario était très bon. Il a adoré l’histoire. Et il avait aimé les MESRINE. Ça correspondait à un moment de sa vie où il était disponible et voulait faire un petit budget.

Est-ce que ça correspondait aussi à un moment de son existence où ça ne le dérangeait pas de dire à l’écran : ‘Quand on fait des conneries toute sa vie, on le paie’ ?
Probablement, oui. On a parlé de nos vies. Mais pas des échos qu’il pouvait y avoir dans le scénario. Jodie Foster parle très bien de Mel Gibson. Quand elle parle de lui avec amour, elle a raison. Je n’aurais pas bossé avec Mel si tout ce qui s’est dit sur lui était vrai. C’est un mec super, généreux, gentil.

JFR-Exergue3La dimension méta enrichit énormément le personnage. John Link renvoie à Mel Gibson. À certains moments du film, ce qui a été écrit sur lui revient à l’esprit… Des producteurs auraient pu trouver ça délicat d’avoir Mel Gibson pour ce rôle…
Pas les producteurs qui ont fait le film au final. En revanche, au départ, BLOOD FATHER était une production américaine. Ils voulaient faire un film à 40 millions mais à ce prix, je n’avais pas le final cut. J’ai compris que je n’arriverais pas à les faire plier quand j’ai appris qu’aux États-Unis, un producteur est payé à hauteur de 4% du budget… (Rires.) À l’époque, je voulais déjà tourner avec Mel – mais c’était un choix difficile pour ces producteurs. J’avais deux projets avec cette boîte : THE REVENANT et BLOOD FATHER. J’ai perdu THE REVENANT et eux ont perdu les droits de BLOOD FATHER, qui ont été récupérés par ma maison-mère, Why Not Productions. Un soir, j’ai pitché le film à Pascal Caucheteux (de Why Not, ndlr) et à Vincent Maraval de Wild Bunch. Ils m’ont demandé de combien j’avais besoin. J’ai dit 15 millions. Ils m’ont dit : ‘On te donne 10 et on le fait tout de suite’. Ils m’ont laissé la liberté totale, notamment sur le choix de Mel. Ce sont des gens qui aiment le cinéma, qui ont une cohérence.

Avez-vous l’impression d’avoir perdu le réalisme social de vos premiers films ?
Non… C’est juste que le social actuel ne m’intéresse pas. La fibre sociale, je l’ai, mais la société a changé et… Avant, je pensais qu’il fallait abattre la République pour obtenir autre chose. Mais aujourd’hui, il faut essayer de la conserver pour préserver ce qu’on a. Ce n’est plus du tout pareil. Sauf que cette République est faible. Avant l’an 2000, on pouvait parler de prolétariat et de lutte des classes. Mais aujourd’hui, j’attends une République forte parce que, même si ce sont des mots qui ont fait peur à la gauche pendant des années, il n’y a pas de justice sans ordre. Si c’est le désordre, c’est les faibles qui prennent : les gamines et les mômes dans les cités, le prolétariat, les pauvres. Il faut donc plus d’ordre pour plus de justice – parce que dans l’absolu, l’ordre ne m’intéresse pas… (Rires.)

Blood-Father3L’esthétique a changé dans votre cinéma, aussi… Vos films étaient bien plus bruts à vos débuts.
Une forme va avec un fond. J’ai actuellement l’ambition de faire un petit film à moins d’un million d’euros de budget sur les conditions de travail d’ouvriers dans les années 50. C’est presque un huis clos dans une usine. La thématique est très forte car certains ouvriers sont payés à l’heure et d’autres à la pièce. Sauf que ceux qui sont payés à la pièce sont dépendants de ceux payés à l’heure. J’ai écrit environ deux tiers du scénario et je pense que formellement, ce sera sec, sans doute plus qu’ÉTAT DES LIEUX. C’est quelque chose que je ne peux pas faire avec UN MOMENT D’ÉGAREMENT. Je suis de l’école où une coupe doit être vue sinon elle ne sert à rien. C’est ce que dit Eisenstein. Sauf que le cinéma soviétique n’a pas gagné, mais le cinéma hollywoodien, où une coupe doit être peu visible, oui. Sur un film à 10 ou 40 millions, si tu fais des coupes visibles, les gens diront que tu ne sais pas monter. Alors en fonction du budget tu as des codifications imposées sinon tu perds le spectateur.

On a le sentiment que le cinéma français ne veut plus filmer les prolétaires. Les Anglais le font encore, les Américains aussi… Vous le faites dans BLOOD FATHER.
Concernant ce projet en huis clos dans l’usine… Je voulais adapter « Le Capital » à une époque donc ça m’intéresse de filmer la compartimentation du travail, ce système où, alors que l’on devrait être ensemble, on finit par être séparés. En France, tu peux faire un film sur ce que tu veux. Sauf qu’on est dépolitisés. Les 200 films qui sont dans le coffret des Césars chaque année… Les réalisateurs te diront tous qu’ils ont fait des films politiques. Quand on a commencé à faire des films – moi avec ÉTAT DES LIEUX et MA 6-T, Kounen avec VIBROBOY, Mathieu Kassovitz avec LA HAINE – on était tous différents, on ne faisait pas le même cinéma mais y avait un truc, une énergie. Ceux qui avaient dix ans de plus, des mecs comme Luc Besson, se retournaient et voyaient cette bande de jeunes excités qui frappaient du pied la fourmilière. J’aurais aimé que le numérique apporte cette énergie à nouveau. Là, je me retourne et il n’y a personne. À l’époque, on passait 95% de notre temps à monter une équipe, à trouver des boîtes de prod, à dealer avec des labos. ÉTAT DES LIEUX, je l’ai fait avec 20 000 euros. Aujourd’hui, je pourrais le faire avec 2000. On devait feuilleter le Bellefaye, le bottin des techniciens, pour composer une équipe alors qu’aujourd’hui en cherchant sur Facebook, tu trouves ton cadreur. Les jeunes, ils font quoi comme film aujourd’hui ? À part Rachid Djaïdani dont je me sens proche, j’ai du mal à en trouver un autre spontanément. Les autres, soit ils font des comédies que les vieux font déjà. Soit ils veulent faire des nouvelles nouvelles nouvelles vagues, des films totalement désincarnés – et c’est chiant. Alors que La Nouvelle Vague, c’est LES CARABINIERS de Godard, c’est CLÉO DE 5 À 7 ! CLÉO DE 5 À 7 c’est super, j’adore ce film. C’était mon inspiration principale sur ASSAUT SUR LE CENTRAL 13 pour la manière dont Agnès Varda y gère le temps.

Vous avez l’impression d’être libre de faire ce que vous voulez en France ?
La liberté est aussi budgétaire. Donc je ne peux pas faire ce que je veux parce que ce que je veux coûte cher. En revanche, personne ne m’impose de projet. C’est toujours mon choix de faire tel ou tel film. Là je rentre en préparation en septembre pour un film. Ensuite j’espère faire un diptyque avec Why Not sur Lafayette.

Après MESRINE, on ne vous a pas vu pendant 7 ans…
J’ai écrit LAFAYETTE pendant quatre ans. C’est un projet qui est coûteux donc c’est très long à monter. Je pars en réécritures, bientôt.

Quand vous voulez faire un diptyque sur Lafayette, qu’est-ce qui vous dirige ? Vous avez envie de parler de quoi avec ce sujet ?
Quel est le prix de la liberté ? C’est quoi savoir dire non ? Quel est le prix de la révolution ?

 

BLOOD FATHER
En salles le 31 août

 

 

 

 

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