JACKIE : chronique

31-01-2017 - 21:12 - Par

JACKIE : chronique

Pablo Larrain transforme la plus célèbre des first ladies en mater dolorosa, dans une somptueuse oeuvre funèbre.

Jackie-PosterRien n’arrête Pablo Larrain. Figure majeure du renouveau du cinéma sud- américain, le réalisateur chilien semble pouvoir relever tous les défis grâce à une virtuosité quasi insolente. Difficile de résister au vintage de la satire politique de NO, à la froideur grinçante de son EL CLUB ou à l’élégant jeu de piste de NERUDA. Ludique et stimulant, son cinéma l’est d’autant plus qu’il ne cesse de questionner la place de l’Histoire, des hommes, leurs responsabilités et les traces qu’ils laissent sur le monde. Il y a quelque chose de profondément grave et léger dans ses films, d’inattendu et de pourtant étonnamment juste et essentiel. JACKIE ne déroge pas à la règle. Antibiopic comme NERUDA, le film réussit pourtant à synthétiser et offrir un regard neuf sur l’une des figures les plus tragiquement connues de l’Histoire de l’Amérique. Que se passe-t-il quand la vie éclate, quand on se rend compte soudain que l’on a perdu ce qui devait s’apparenter au bonheur ? Structuré autour des quelques jours d’avant et d’après l’assassinat de JFK, le film organise un puzzle émotionnel extrêmement habile. Incarnée avec force par une Natalie Portman impeccable, Jackie Kennedy est perçue dans toute son ambivalence, à la fois poupée de porcelaine en quête de perfection et femme défaite, veuve d’un homme et d’un monde qu’elle chérissait. On retrouve là toute la singularité de Larrain, qui réinvestit comme à son habitude le mythe façonné par les images (la télévision, le film Zapruder) pour mieux lui donner vie en y traquant l’humain, c’est-à-dire de l’hésitation et de l’imperfection. Dans de sublimes séquences caméra épaule, Larrain filme la première dame en deuil comme un automate grillé, fidèle à son image et pourtant déglingué à l’intérieur, capable à tout instant de s’élancer ou de s’effondrer. Parent lointain du cinéma de Cassavetes et des grandes compositions de Gena Rowlands (UNE FEMME SOUS INFLUENCE), le film est littéralement dévoré par ce personnage chancelant, instable, auquel Larrain confère une dignité rare. Plus qu’une simple page d’histoire de la politique américaine, JACKIE est une ode à la résilience, au besoin de trouver un sens à la mort. Alors, Jackie n’est plus la première dame, plus un symbole mais bien une femme soudainement figée dans le temps, qui regarde perplexe la vie reprendre le dessus. C’est tout le brio et la virtuosité d’une œuvre qui navigue constamment entre la fixité des symboles, le besoin d’héritage et la violence du temps qui passe et remplace tout. Funèbre et radical dans son refus de l’émotion frontale, JACKIE n’en est pas moins une œuvre entêtante, qui accompagne comme un élégant fantôme.

De Pablo Larrain. Avec Natalie Portman, Peter Sarsgaard, Greta Gerwig. États-Unis. 1h40. Sortie le 1er février

4Etoiles

 

 

 

 

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