Cannes 2017 : OKJA / Critique

19-05-2017 - 13:35 - Par

Cannes 2017 : OKJA

De Bong Joon-ho. Sélection officielle, compétition.

Synopsis officiel : Pendant dix années idylliques, la jeune Mija (An Seo Hyun) s’est occupée sans relâche d’Okja, un énorme animal au grand cœur, auquel elle a tenu compagnie au beau milieu des montagnes de Corée du Sud. Mais la situation évolue quand une multinationale familiale capture Okja et transporte l’animal jusqu’à New York où Lucy Mirando (Tilda Swinton), la directrice narcissique et égocentrique de l’entreprise, a de grands projets pour le cher ami de la jeune fille. Sans tactique particulière, mais fixée sur son objectif, Mija se lance dans une véritable mission de sauvetage. Son périple éreintant se complique lorsqu’elle croise la route de différents groupes de capitalistes, démonstrateurs et consommateurs déterminés à s’emparer du destin d’Okja, tandis que la jeune Mija tente de ramener son ami en Corée.

L’un des derniers plans de SNOWPIERCER s’attardait sur un ours blanc. Bong Joon Ho laissait planer une certaine ambiguïté : l’animal sauvage et l’homme – finalement guère plus civilisé – connaissaient-ils une renaissance conjointe, simultanée et harmonieuse ? Ou la Nature allait-elle reprendre ses droits de manière plus violente ? Avec OKJA, le cinéaste sud-coréen explore de manière plus directe la relation entre l’Homme et l’Animal pour livrer une grande fresque d’aventure antispéciste. Dans un tourbillon rose bonbon pop dont l’ironie sautillante n’échappera à personne, Bong ouvre OKJA sur un portrait sardonique du corporatisme 2.0, qui cache sa vraie nature derrière un paravent de cool, de sourires complices et de prétendues intentions humanistes. Mais a-t-on déjà sauvé le monde avec une carte bleue ? Bong a beau ancrer OKJA dans une acidité enragée toute sud-coréenne, il évite pour autant très soigneusement de dériver vers le fiel et la moralisation. La preuve dans la façon dont il dévoile sa créature, Okja – un super cochon géant dont l’élevage doit, selon une corporation décalquée de Monsanto, enrayer la faim dans le monde. Il la laisse entrer lentement dans le cadre, dans un décor apaisant de forêt montagneuse. Il laisse Okja prendre sa place à l’image dans de longs plans, nobles et superbement composés, sans jamais la spectaculariser. Puis, une scène splendide vient simplement caractériser son intelligence, son empathie, ses sentiments à l’égard de Mija, la jeune fille qui l’élève et qui a grandi avec elle. Filmée à l’égal de l’Homme, dotée d’une personnalité mise au centre du récit et des enjeux, Okja, créature numérique de fantaisie, devient réelle et organique. Un membre de la famille de Mija et, par extension, l’objet immédiat de notre affection. Une empathie évidente transpire de la mise en scène claire, jamais à l’épate et pourtant souvent virtuose de Bong, mais aussi de la lumière douce et naturellement colorée de Darius Khondji, qui unifie en une même palette la nature et la ville. Une esthétique qui participe de transporter OKJA dans le conte moral. Pourtant, Bong développe des trésors d’inventivité pour constamment ramener son film à une contemporaneité plus marquée. D’un côté, il se montre capable de mêler action, suspense, comique burlesque et drame déchirant dans une seule et même séquence, furieusement moderne, de poursuite en camion. De l’autre, il dirige An Seo Hyun (quelle actrice !) de manière naturaliste pour l’opposer à des interprétations extrêmement cartoonesques de Tilda Swinton et Jake Gyllenhaal. Une extravagance du casting US tellement maîtrisée – Paul Dano est fantastique de noblesse rigolo-romantique – qu’elle rend OKJA d’autant plus féroce : Bong fait du grotesque la réalité. Notre réalité. Ce brio avec lequel il encapsule, par de micro moments, toute la stupidité de notre époque, est sidérante. Sa stupidité mais aussi sa futilité, son manque d’empathie et de valeurs. Dans le monde d’OKJA, miroir au final très réaliste du nôtre, des barrières entravent tous les principes moraux – même pour ceux qui en ont et se mettent comiquement en danger pour les honorer. Aujourd’hui, ici et maintenant, le Bien ne peut triompher par les sentiments. Chacun se doit de le défendre par tous les moyens possibles, y compris les plus cyniques. Un message d’une véracité aussi brutale que puissante. « Tout se mange, sauf les cris », dit la PDG de Mirando Corporation sur ses cochons. OKJA, en conte moral total se révèle d’une noirceur terrorisante, il confronte le spectateur à l’atroce condition animale. OKJA exalte puis effraie et traumatise. Il creuse un sillon de rires et de larmes. OKJA est tout simplement un immense film. Un concentré de cinéma, une succession de déflagrations visuelles bouleversantes. Comme un instantané de l’époque, dont la pertinence et la justesse traverseront le temps.

De Bong Joon-ho. Avec An Seo-hyun, Tilda Swinton, Jake Gyllenhaal. Corée du Sud/Etats-Unis. 2h. Le 28 juin sur Netflix

 

 

 

 

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