Cannes 2017 : YOU WERE NEVER REALLY HERE / Critique

26-05-2017 - 21:43 - Par

Cannes 2017 : YOU WERE NEVER REALLY HERE

De Lynne Ramsay. Sélection officielle, compétition.

Synopsis : Joe, ancien Marine et agent du FBI, est aujourd’hui spécialisé dans le sauvetage de jeunes femmes victimes de trafic sexuel. Un jour, son patron le met en contact avec un sénateur dont la fille a été enlevée et placée dans une maison close clandestine. Une mission comme Joe en a accepté des dizaines mais qui, cette fois, va mal tourner.

Dans son désir de ne pas se répéter, Lynne Ramsay a de la suite dans les idées. Après WE NEED TO TALK ABOUT KEVIN, exploration fucked up de la maternité et de la relation mère-fils, la cinéaste écossaise se propose, avec YOU WERE NEVER REALLY HERE, de sonder la virilité – d’un personnage et, plus largement, de tout un pan de cinéma. À bien des égards, sa nouvelle réalisation se rapproche de DRIVE. Non pas parce qu’elle en partage l’esthétique ou les intentions. Mais parce que les deux films sont des regards d’européens, à l’univers âpre, sur la figure du héros de cinéma américain. Joaquin Phoenix incarne Joe, ancien Marine et ex agent du FBI, désormais spécialisé dans les opérations clandestines de sauvetage de jeunes filles ou femmes prisonnières de réseaux de prostitution. Lorsqu’il doit récupérer Nina, adolescente de 13 ans, fille d’un sénateur de New York, son existence va déraper. Adapté d’un roman court de Jonathan Ames, YOU WERE NEVER REALLY HERE en est autant une adaptation très fidèle qu’une variation libre. Moins intéressée par l’intrigue que par son personnage central, Ramsay se lance dans une étude de caractère offrant l’occasion à Joaquin Phoenix de construire une prestation monstre, une transe physique et intérieure, extrêmement masculine et profondément sensible. En filmant le corps abîmé de Joe, Ramsay fait de YOU WERE NEVER REALLY HERE une errance psychologique captivante, où le montage, des plus précis, élève chaque flashback au rang de coup de poignard, de douleurs rémanentes subliminales et où de subtils détails éclairent, en avance, ce qui va suivre. Là, Ramsay déploie de superbes idées de mise en scène pour que Joe disparaisse derrière ses mystères et ses peurs, pour qu’il devienne une ombre menaçante autant qu’un fantôme brisé – citons notamment la manière dont, en passant de très gros plans à des plans plus larges fuyants, Ramsay tarde à révéler le visage barbu, tendu, fatigué mais au final sublime de Joe/Phoenix. YOU WERE NEVER REALLY HERE, illustré par un score élégiaque et furieusement intelligent de Jonny Greeenwood qui grippe ses instruments et suit quelques effets de montage, réussit l’exploit d’être romantique et nihiliste. Ramsay, en un geste puissant de mise en scène, capture avec distance – voire hors-champ – la violence qu’inflige Joe, et regarde frontalement, jusqu’à la grandiloquence opératique, celle à laquelle il doit faire face. Opposant ce personnage qu’elle aime visiblement follement aux conséquences tragiques de ses actes, Ramsay mène YOU WERE NEVER REALLY HERE vers un concept troublant mais passionnant de résilience inquiète. Comme Joe, le film se mure dans le mutisme apparent mais hurle de toute ses forces sous la surface. Sec et ramassé (1h30), YOU WERE NEVER REALLY HERE s’impose en portrait, en version dégraissée jusqu’à l’os et pourtant terriblement complexe, du héros américain. À l’image de sa narration qui, toute en ligne claire, se perd volontairement en errances. Personnage/acteur, mise en scène, narration, propos : tout dans YOU WERE NEVER REALLY HERE semble se dédoubler. Rien qui ne témoigne du moindre paradoxe ou de la moindre contradiction. Juste de la richesse du film et de la maîtrise avec laquelle Ramsay le conduit.

De Lynne Ramsay. Avec Joaquin Phoenix, Ekaterina Samsonov, Alessandro Nivola. Etats-Unis/France. 1h50. Prochainement

 

 

 

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