Interview : Pilou Asbæk

27-07-2017 - 16:48 - Par

Interview : Pilou Asbæk

Avant d’être Euron Greyjoy dans GAME OF THRONES, Pilou Asbæk a écumé les plateaux danois et internationaux pendant dix ans. Un parcours qu’on a exploré avec lui à l’occasion de la sortie cinéma de GHOST IN THE SHELL.

 

Cet entretien a été publié au préalable dans le magazine Cinemateaser n°63, daté avril 2017

Blond et amaigri dans R, hirsute et bedonnant dans HIJACKING, soigneusement barbu dans GAME OF THRONES, élégant et carnassier dans LES ENQUÊTES DU DÉPARTEMENT V ou bâti comme Terminator dans GHOST IN THE SHELL : à l’écran, Pilou Asbæk, 35 ans, n’a jamais deux fois la même apparence. Une manière de livrer des interprétations aussi intérieures que physiques. En moins de dix ans de carrière, il est passé des premiers rôles au Danemark aux productions hollywoodiennes avec un appétit non feint et s’est imposé comme l’un des meilleurs comédiens de sa génération. Si vous ne le connaissez pas encore vraiment, c’est le moment.

 

Quand nous lui avons parlé pour A WAR, Tobias Lindholm nous a dit qu’il espérait vous voir mourir rapidement dans GAME OF THRONES parce qu’il voulait vite vous récupérer…
(Il éclate de rire) Quel enfoiré !

Avez-vous le sentiment que votre carrière est de plus en plus internationale et de moins en moins danoise ?
Non. En fait, plus j’ai la chance de faire des films internationaux et plus je deviens danois. Quand vous voyagez en Asie ou ailleurs, en tant que Français ou Danois, vous devenez davantage Français ou Danois que vous ne l’êtes chez vous. Je suis fier de mon background et je suis extrêmement fier de ma collaboration avec Tobias. Sans ça, je n’aurais pas de carrière internationale. Mon but est que les films que Tobias et moi ferons dans le futur soient en français, en anglais ou en allemand. Je crois qu’il y a une place pour nous deux, pour notre collaboration, sur la scène mondiale.

Ce serait logique de voir Tobias faire un film américain dans la mesure où vos trois films communs – R, HIJACKING et A WAR – étaient inscrits dans des genres très américains.
Oui, tout à fait.

Pilou-Exergue1Votre carrière à l’étranger est-elle voulue ou accidentelle ?
Entre 2008 et 2015, j’ai fait une vingtaine de films danois. C’est beaucoup, surtout que j’étais l’acteur principal dans la plupart d’entre eux. En tant que spectateur, j’attends énormément des acteurs et encore plus de ceux de premier rang. Alors je m’applique cette exigence : je veux continuer à surprendre le public. C’est pour ça que vous connaissez mon travail et que vous savez que j’ai choisi des rôles très divers – ils représentaient souvent quelque chose auquel je pouvais m’identifier à une période de ma vie. Mais à un moment je me suis dit que je devais faire une pause parce que je ne pouvais pas donner ce que je voulais au public, je ne parvenais pas forcément à obtenir les scripts souhaités ou à travailler avec les réalisateurs que je voulais. J’ai décidé de partir voyager avec ma femme et notre fille. Et c’est là que Hollywood m’est tombé dessus. Ça a bouleversé mes plans. J’ai eu énormément de chance de pouvoir bosser avec Kirsten Dunst (sur WOODSHOCK, encore inédit, ndlr), Morgan Freeman (sur BEN-HUR, ndlr), Juliette Binoche (sur GHOST IN THE SHELL, ndlr), Scarlett Johansson (sur LUCY et GHOST IN THE SHELL, ndlr), Luc Besson (sur LUCY, ndlr)… Ce métier, c’est comme le sport. Comme le foot. Si vous jouez au tennis avec quelqu’un de plus doué que vous, vous n’arriverez à rien. En revanche, dans une équipe de foot, si vous évoluez avec des partenaires meilleurs que vous, vous progressez. Avoir bossé à Hollywood et faire partie d’une si grande industrie – même si les films n’étaient pas forcément meilleurs que ceux que j’ai faits au Danemark –, m’a rendu plus conscient du langage cinématographique, des gros plans, de la manière dont on peut raconter une histoire de la manière la plus rapide et efficace possible. Tobias fait en ce moment la même chose avec sa carrière (il écrit THE TUNNELS pour Paul Greengrass, a réalisé des épisodes de la série Netflix MINDHUNTER produite par David Fincher et Charlize Theron et planche toujours sur THE GOOD NURSE, qu’il doit réaliser avec Darren Aronofsky à la production, ndlr). Si tout va bien, dans trois ans, on se retrouve pour un projet commun. Et on ramènera des Oscars à la maison ! (Il éclate de rire.)

Vos films et séries danois sont très naturalistes alors que vos projets internationaux sont très graphiques et stylisés. Savez-vous pourquoi ?
Pour être tout à fait honnête, mon anglais n’est pas encore assez bon pour que je tienne à l’étranger le même type de rôles dans le même genre de films qu’au Danemark. Selon moi, mon anglais est suffisamment bon et je crois avoir le talent suffisant, aussi. Mais je dois le prouver. De mon côté, je dois encore améliorer mon anglais. Du leur, les Américains doivent se détendre avec les accents… Aussi, j’aime les gros films de studio, tout simplement. Mais j’aimerais faire des films en France, également. J’ai eu quelques offres. Chez vous les films sont encore intelligents.

Vous aimez les gros films de studio mais vous ne choisissez pas les plus simples : un remake de BEN-HUR, une adaptation live de GHOST IN THE SHELL… On a la sensation que vous vous foutez des controverses mais aussi de ce qui est censé être ‘de bon goût’.
Ces choses ne m’intéressaient déjà pas au Danemark, pourquoi j’y ferais attention dans ma carrière internationale ? À l’époque de R, j’avais eu une offre pour une série télé d’une des plus grandes chaînes danoises – c’était un boulot stable, pour deux ans. De l’autre côté de la balance, j’avais la possibilité de travailler avec Tobias et Michael Noer sur R pour quasiment rien. J’ai choisi R parce que mes parents sont tous les deux galeristes : j’ai été élevé à toujours aller dans le sens de l’Art et à prendre les risques nécessaires pour ça. Aussi, je ne veux pas avoir de regrets – c’est pour ça que j’ai accepté de présenter le concours de l’Eurovision [au Danemark en 2014]. J’ai envie de faire les choses les plus folles possibles ! Pourquoi j’ai choisi de faire R ? Parce que je voulais voir si j’étais capable de tenir le premier rôle d’un film. Pourquoi j’ai fait BORGEN ? Parce que je voulais faire une série télé où je pourrais développer un personnage pendant deux ans. Pourquoi j’ai accepté BEN-HUR ? Parce que je voulais voir et vivre un tournage de gros film de studio américain. Pourquoi j’ai fait LUCY ? Parce que je voulais travailler avec l’un des meilleurs réalisateurs et avec l’une des plus grandes stars au monde. Pourquoi j’ai auditionné pour le rôle de Euron Greyjoy dans GAME OF THRONES ? Parce que je suis un énorme fan et que c’est la plus grosse série télé au monde ! Et en plus, Euron est démoniaque et je n’avais jamais joué de mec comme lui auparavant. J’ai toujours joué les protagonistes – même si ce n’étaient jamais des films manichéens en termes de personnages. GHOST
IN THE SHELL, GAME OF THRONES :
je vais peut-être détruire ma carrière en 2017 ! (Rires.)

Vous avez mentionné l’Eurovision : vous étiez très drôle dans une des vidéos tournées pour l’occasion, où vous jouez les guides VRP de Copenhague (voir plus bas). Mis à part cet aparté, vous ne faites jamais de comédies… Pourquoi ?
Tous mes amis me posent constamment cette question. J’adore la comédie. Si on buvait de la bière pendant cet entretien, vous rigoleriez bien plus, c’est moi qui vous le dis ! (Rires.) J’ai fait un film qui s’appelle SEX DRUGS & TAXATION de Christoffer Boe et qui était à la limite de la comédie. Mais Tobias, lui, a vu en moi ce type sérieux. Visiblement, quand vous mettez la caméra sur moi, j’ai l’air d’un type torturé et intense.

Vous avez dit par le passé être plutôt timide, ne pas du tout être un mâle alpha. À l’écran, vous projetez pourtant quelque chose de très masculin, animal et charismatique… C’est une énergie que vous travaillez, que vous contrôlez ?
Pas du tout.

Vous ne savez pas d’où elle vient ?
Non… C’est comme ça que les gens me voient. Dans les années 90 au Danemark, les acteurs faisaient constamment modifier les scripts pour que les répliques collent à ce qu’ils étaient. Je suis à l’exact opposé de ça. Pour moi, une réplique, c’est comme un chapeau : c’est quelque chose que vous mettez. Je suis marié à une dramaturge, mes meilleurs amis sont scénaristes. J’ai donc le plus profond respect pour l’écrit, pour les mots. Ma démarche est de me demander comment je peux me transformer pour coller aux mots. Est-il possible de créer quelque chose en moi qui me permette de dire cette réplique à ce moment donné ? Je crois que c’est ça, mon boulot. Je ne veux pas changer un script pour qu’il m’aille. Je veux me changer pour convenir au script. C’est aussi pour ça que je travaille toujours mes rôles de manière très physique. [Ce respect des mots] est difficile en anglais, en raison de la barrière de la langue. Je veux pouvoir faire en anglais ce que je fais en danois. Dans l’idéal, je voudrais me sentir complètement libre, [comme sur un film danois], sur un tournage français, américain ou britannique. Puis, le jour
où je mourrai et qu’on écrira mes mémoires, on se souviendra de moi
pour deux rôles : BORGEN et GHOST IN THE SHELL ! (Rires.) Sur une carrière de 50 ans ! (Rires.)

 

Pilou-Exergue2

 

Tobias nous a dit que contrairement à beaucoup d’acteurs, votre apparence vous importe peu…

Oh je m’en fous complètement. Je fais ce qui est essentiel pour mon personnage. Si je dois camper un chef [comme dans HIJACKING], je prends du poids. Si je dois incarner Batou [dans GHOST IN THE SHELL], je vais soulever de la fonte pendant six mois pour devenir massif. Quand je suis rentré dans cette pièce, on s’est regardés et en une seconde, on s’est lus mutuellement en se regardant de haut en bas pour voir quels types de personnes on était. C’est automatique, tout le monde fait ça. Pourquoi ce serait différent pour un spectateur devant un film ? Quand vous voyez un personnage, vous le scannez du regard et en cinq secondes vous vous demandez si vous l’aimez ou pas, qui il est, ce qu’il fait, d’où il vient. En tant qu’acteur, je le sais. Je sais que quand je dois présenter un personnage, je dois suivre le script et en donner un tout petit peu plus à l’image. Un acteur ne doit jamais oublier qu’il doit soigner son entrée et sa sortie parce que c’est ce dont le spectateur se souviendra. Ce qui se passe entre les deux ? Pas tant que ça.

En ce sens, le cinéma ressemble au théâtre pour vous ?
Absolument. D’autant plus maintenant que l’on tourne en numérique : on peut faire des prises de 15 ou 20 minutes – on ne peut pas vraiment se le permettre sur des gros films, bien sûr. En tout cas, effectivement, j’approche le cinéma de la même façon que le théâtre. Un jour, j’ai vu une pièce formidable avec cette actrice qui avait l’air si vieille sur scène – alors qu’en réalité elle avait 60 ans. Elle jouait une nonagénaire, elle tremblait terriblement… À la fin de la représentation, je suis allé lui parler et je lui ai demandé comment elle avait fait pour trembler comme ça pendant deux heures. Elle a ri et elle m’a dit : ‘Je l’ai juste fait pendant cinq minutes au début et à la fin. Personne ne voit ce qui se passe entre les deux.’

Vous parliez des caméras numériques…
La technologie nous aide énormément, aujourd’hui.

Vous ne préférez pas la pellicule, qui force à être efficace sans filet ? Avec le numérique, on peut tourner encore et encore sans coût…
C’est une vision très romantique de ce qu’est un tournage en pellicule… Sans le numérique, le Danemark n’aurait jamais pu faire les mêmes films. Il n’y aurait pas eu le Dogme. Actuellement, le cinéma et la télé danois sont appréciés en raison de leur réalisme. Ils sont organiques. On a la sensation que ce sont de vrais êtres humains à l’écran. Je suis fatigué de voir des super-héros superficiels. C’est aussi pour ça que je voulais camper Batou dans GHOST IN THE SHELL : c’est un être humain dans un monde cybernétique mais il reste ancré dans une certaine réalité. Je voulais créer un personnage qui existe, qui soit crédible quand il va voir ses chiens, quand il boit une bière. C’est un badass réaliste.

Comment avez-vous abordé le fait de donner vie à un personnage qui, à l’origine, est dessiné ou animé et donc désincarné au sens premier du terme ?
Pour tout vous dire, je n’ai rien ressenti pour Batou quand j’ai vu le film animé. J’ai trouvé le film magnifique, mais j’ai ressenti une connexion avec Major – parce que son parcours parle d’identité –, pas avec Batou. Donc quand j’ai dû aller à L.A. pour persuader Rupert Sanders, DreamWorks et Paramount de m’engager sur GHOST IN THE SHELL, j’étais perdu. Le Batou que je connaissais était plus vieux que moi, massif, avec des cheveux blancs, très masculin. C’était un militaire. Je ne suis rien de tout ça. Mais j’ai eu le boulot car ils ont vu en moi ce dont ils avaient besoin. Alors je me suis demandé ce que je pouvais faire et ma femme m’a rappelé que lorsqu’on est perdu, la solution est de revenir à la source – ça, c’est un vrai bon conseil de quelqu’un qui écrit. Alors j’ai lu et relu le manga originel. Tout d’un coup, ça m’a frappé : on ne peut pas fuir le manga, on ne peut pas fuir l’animé. Il fallait accepter que notre film se tienne sur les épaules de ces deux œuvres précédentes. J’ai alors décidé que mon apparence viendrait du manga. Et, que du film, je tirerais le caractère bougon de ce type qui ne parle pas beaucoup mais dont on sent le cœur et l’âme. Mon Batou est juste entre celui du manga et celui de l’animé. Il faut encore que je grandisse un peu pour atteindre le Batou de l’animé. Développer un personnage prend des années. Or, le Batou auquel les fans hardcore se réfèrent a son propre film – INNOCENCE –, il a sa série télé… Donnez-moi le temps ! Avec ce film, nous établissons l’univers.

J’aimerais revenir au Dogme. Vous étiez adolescent quand ça a débuté. De quelle manière cela a-t-il changé…
Ça a tout changé ! Je ne le savais pas à l’époque parce que… le cinéma m’est tombé dessus à l’âge de 21 ans. Je ne voulais pas être un acteur, je voulais écrire. Cela dit, je me considère toujours plus comme un écrivain que comme un acteur, même si je n’ai jamais rien écrit ! (Rires.) Le Dogme a tout changé parce que, tout à coup, on nous a pris au sérieux. Lars von Trier, Thomas Vinterberg, Søren Kragh-Jacobsen, Kristian Levring ou Susanne Bier ont créé une toute nouvelle manière de regarder des histoires. Ils ont aussi engendré une toute nouvelle façon de jouer la comédie, où la réalité passe avant tout. Ça a donné des acteurs incroyables comme Nikolaj Coster-Waldau, Mads Mikkelsen, Ulrich Thomsen. À l’écran, les acteurs se sont mis à marmonner, à mâcher leurs mots, à se gratter le nez… Quand j’ai vu ces films, j’ai compris qu’être acteur, ce n’est pas illustrer un personnage, c’est être un personnage. Notre génération d’acteurs, de réalisateurs et de scénaristes doit tout au Dogme, même s’il y a aujourd’hui une nouvelle génération qui veut rompre avec tout ça, évidemment.

Maintenant que vous faites des films à l’international, avez-vous la sensation que votre nom aide d’autant plus de petits films danois à se monter ?
Nous avons un système de financement public au Danemark mais si je peux aider, je serais ravi de le faire. Cela dit, pour être honnête, je suis concentré sur mon travail pour le moment. Bien sûr, je suis encore aux aguets, je regarde toujours les jeunes talents parce que c’est important. À l’heure actuelle, le monde entier se replie sur lui-même. Tous les pays européens veulent fermer leurs frontières. Et quand ce genre de choses arrive, l’Art doit s’ouvrir d’autant plus. Je crois que c’est important que je fasse ces films américains – et j’espère dans le futur des films anglais et français – parce que je veux montrer au monde et aux acteurs danois que nous devons nous ouvrir. C’est aussi pour ça que j’aime GHOST IN THE SHELL : Rupert a engagé des acteurs américains, japonais, chinois, danois, britanniques, français, africains. Dans les rôles principaux ! Je n’avais pas vu ça depuis des années.

Est-ce frustrant de faire des films au Danemark et qu’ils ne sortent pas à l’étranger ?
Je ne savais pas que je devais prendre les choses comme ça mais vous avez peut- être raison ! (Rires.) D’un autre côté, ne pas avoir tous mes films en France vous a évité de voir tous mes ‘trucs’.

On a la sensation que pour vous, un film n’est pas une fin en soi…
Sur BEN-HUR par exemple, j’avais l’opportunité de rencontrer Morgan Freeman ou Toby Kebbell, de travailler aux anciens studios de Fellini à Rome. Pour moi, le film n’est qu’une partie du package, en effet. L’expérience du tournage va au-delà du film. Ce métier, c’est aussi rencontrer des collègues. Être sur le plateau avec Scarlett, à 3h du matin après une journée de 15 heures, finir une scène et s’asseoir pour boire un verre et parler de la vie. C’est ce que j’aime. Tobias a une phrase très belle à ce sujet : ‘On n’est pas là pour se créer une carrière, on est là pour créer la vie’ – aussi bien au cinéma que dans notre existence.

 

GHOST IN THE SHELL
En DVD le 31 juillet

 

 

 

 

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