READY PLAYER ONE : au bon endroit, au bon moment / Analyse Spoiler
28-03-2018 - 10:29 -
Adapté d’un best-seller, READY PLAYER ONE reste totalement spielbergien. Profondément lié aux thèmes de prédilection du cinéaste, READY PLAYER ONE s’affirme également comme un compagnon logique de PENTAGON PAPERS et s’insère parfaitement dans sa filmographie récente. ATTENTION, SPOILERS !
À première vue, ils ne pourraient pas être plus éloignés l’un de l’autre. L’urgence caractérise PENTAGON PAPERS qui, lancé en mars 2017 et produit en à peine neuf mois, a voulu coller à l’époque et commenter l’actualité. READY PLAYER ONE s’est confectionné en plus de trois ans : tourné à l’été 2016 après 18 mois de réécritures, il a nécessité plus d’un an et demi de post-production. Le premier se déroule dans le passé, en 1971, l’autre dans le futur, en 2045. Ils rejouent la fausse dichotomie citée plus haut entre ‘film sérieux’ et ‘pur divertissement’. L’un, tourné en pellicule, glorifie l’analogique et une presse papier jugée obsolète quand l’autre embrasse un univers numérique dématérialisé, l’OASIS et, pour cela, use des techniques de tournage virtuel – la performance capture dans un Volume. Les deux personnages principaux de PENTAGON PAPERS, Katharine Graham et Ben Bradlee, affichent la cinquantaine – leurs interprètes, Meryl Streep et Tom Hanks, la soixantaine. READY PLAYER ONE met en scène de jeunes adultes interprétés par la fine fleur de la nouvelle génération – Tye Sheridan, Olivia Cooke, Lena Waithe. Le premier traite notamment de comment rendre compte de la réalité de la manière la plus authentique possible tandis que le second suit un monde où seule compte l’évasion dans un monde virtuel chevillé à l’imaginaire. Tout semble séparer PENTAGON PAPERS et READY PLAYER ONE.
La voix off introductive de READY PLAYER ONE brosse le portrait d’un monde en déréliction dans lequel « on a arrêté d’essayer de résoudre les problèmes » – pour Spielberg, une certaine idée de l’enfer, lui dont les personnages, à l’instar de Lincoln, ne cessent d’interagir avec leur monde, de le confronter dans l’espoir (l’utopie ?) de l’améliorer. Peu à peu, le récit confronte Wade/Parzival à cette résignation générale, à cette apathie qui a acculé le monde entier à se réfugier dans l’OASIS, monde virtuel tel un opiacé où chacun peut « être ce qu’il veut être ». Lorsque Samantha/Art3mis lui rétorque, au bord des larmes, qu’elle ne participe pas à la quête de l’œuf pour s’enrichir et devenir propriétaire de l’OASIS mais bien pour suivre un idéal, pour contrecarrer les plans totalitaires de Nolan Sorrento, pour venger la mort de son père, pour s’inscrire dans un mouvement plus global et moins autocentré, elle renvoie directement à cette réplique de Ben Bradlee dans PENTAGON PAPERS : « La manière dont ils (les politiciens, ndlr) ont menti. Il faut que cela cesse. » Là réside la force qui unit les deux films : un élan d’indignation qui, peu à peu, en parcourant chaque individu, va initier une révolte. Intellectuelle et locale dans l’un, plus globale et active dans l’autre. Mais une révolte quoi qu’il en soit. PENTAGON PAPERS sublimait la liberté de la presse, READY PLAYER ONE vole au secours de la neutralité du Net, toutes deux malmenées par Trump. En prenant à bras le corps l’actualité avec des récits non-contemporains, PENTAGON PAPERS et READY PLAYER ONE se font très politiques et rappellent la défiance de Steven Spielberg à l’égard des autorités. Nolan Sorrento, patron de l’IOI, multinationale qui espère contrôler l’OASIS pour la monétiser à outrance, pourrait même apparaître, dans toute sa vilenie cartoonesque, comme un successeur du Richard Nixon éructant sa haine des journalistes dans PENTAGON PAPERS. Cette autorité dominante qui, très consciemment, s’ingénie à soumettre, aspire à étouffer toute liberté et toute spontanéité, Spielberg la dépeint comme le Mal suprême. Il relie l’IOI aux régimes fascistes (les employés de Sorrento n’ont pas de noms, juste des numéros) et attribue une imagerie quasi concentrationnaire aux Loyalty Centers (où l’on travaille de force pour rembourser ses dettes à l’IOI). Tout comme « la presse doit servir les gouvernés, pas les gouvernants », l’OASIS ne doit pas être pour l’IOI un outil d’asservissement mais pour chacun, un moyen d’émancipation. Là émerge également un portrait sardonique d’un capitalisme fou et aliénant : PENTAGON PAPERS et READY PLAYER ONE partagent une scène identique de conseil d’administration où l’humain se voit repoussé dans les cordes, où les chiffres règnent en dehors de toute considération pour la qualité de l’expérience du consommateur. « Qualité et rentabilité vont de pair », tente d’asséner Katharine Graham. Nolan Sorrento, lui, envisage une OASIS qui rendrait disponible 80% du champ de vision de ses utilisateurs à des publicités invasives et assure qu’on rend les actionnaires heureux en les enrichissant. Alors, ne reste plus que la révolte, quitte à ce qu’elle soit fatale : Graham, en autorisant ses équipes à publier les Pentagon Papers, s’expose à son emprisonnement et à la mort du Washington Post, son entreprise familiale. Dans READY PLAYER ONE, en attaquant Sorrento et sa forteresse, les utilisateurs de l’OASIS risquent la mort de leur avatar numérique et de devoir « repartir de zéro » : un péril abstrait, presque trivial mais qui, métaphoriquement, pour tous ces gens s’étant réfugier dans la bulle de l’OASIS, revient à ouvrir les yeux, à faire face à leur existence et à abandonner leurs petites possessions virtuelles pour s’inscrire dans un mouvement humain, concret, organique.
À travers le défi qu’ils lancent à l’autorité, les protagonistes de PENTAGON PAPERS et de READY PLAYER ONE s’élèvent. Pour Katharine Graham, ce mouvement est symbolisé par une descente d’escaliers – en opposition à un gravissement plus tôt dans le récit, illustrant la montagne du sexisme –, mais aussi par l’admiration quasi religieuse que lui portent les femmes qui l’entourent et la regardent en cet instant de triomphe. Pour Wade, l’élévation se fait plus littérale : la bataille finale de READY PLAYER ONE débute au sol, au pied d’une forteresse imprenable, dans une glace infertile, mais prend fin dans la lumière chaude d’un grenier/chambre d’enfant, où les rêves naissent. Plus globalement, la rédaction du Washington Post de PENTAGON PAPERS et le Top 5 de READY PLAYER ONE, en s’opposant à un système autoritaire, proclament leurs valeurs morales mais ne se prétendent pas pour autant supérieurs. Ils assument au contraire faire partie d’un tout plus important qu’eux-mêmes. Une idée très spielbergienne que l’on retrouve de manière récurrente dans son cinéma – le lien télépathique unissant deux espèces dans E.T., la théorie du chaos chère à Ian Malcolm dans JURASSIC PARK, la recherche d’équilibre et donc de justice dans LINCOLN et LE PONT DES ESPIONS. Qu’il fait partie d’un tout, Steven Spielberg en a conscience et l’illustre à l’image dans une des séquences les plus mémorables de READY PLAYER ONE : sur la piste de la deuxième clé, le Top 5 doit décoder une énigme dans… le film SHINING. À l’image, leurs avatars numériques virtuels arpentent les décors de l’hôtel Overlook. Que le réalisateur ait choisi SHINING, et non pas WAR GAMES ou SACRÉ GRAAL comme dans le roman d’Ernest Cline, en dit long sur ses intentions. Le livre célébrait toute une culture 80’s dont Spielberg est l’un des bâtisseurs et l’un des héros. Après avoir sacrifié la plupart des références à ses propres films, il décide de ‘refaire’ l’un des longs-métrages iconiques d’un de ses cinéastes fétiches, Stanley Kubrick. Par ce choix, il rejoue sa propre cinéphilie au lieu de glorifier son œuvre, il s’approprie « Player One » au lieu de l’adapter, il exalte la culture populaire au-delà des frontières de la « geekerie 80’s ». Mais surtout, et là réside peut-être l’idée la plus importante, il s’inclut au lieu de présider : tout comme de jeunes conteurs se sont saisi de « l’esprit Amblin » – de J.J. Abrams dans SUPER 8 à Andy Muschietti dans ÇA en passant par les Duffer dans STRANGER THINGS –, Steven Spielberg s’amuse lui aussi à refaire, à rejouer, à citer une de ses idoles. Plutôt que de se figer dans le passé et de devenir une statue du Commandeur dominant la culture populaire, il se met au niveau de ceux qui l’adulent : comme eux, il se définit influencé et nourri par ses prédécesseurs. Ainsi remet-il la culture à la place sociale centrale qu’elle doit avoir. Non, dans READY PLAYER ONE, Steven Spielberg n’a aucune velléité à réfléchir à la culture 80’s qu’il a co-créée, n’a aucun désir de se prétendre au-dessus des autres. Son but, très profondément ancré dans son œuvre depuis ses débuts, reste le partage et le lien. À titre personnel, il n’a eu de cesse de courir après son père, de questionner son départ du foyer. Or, READY PLAYER ONE partage sa structure d’aventure à intrigues avec LA DERNIÈRE CROISADE, film-symbole de la réconciliation entre le cinéaste et son aîné. Cette notion de recherche du lien sous-tend également la séquence de course dans New York au début du film. Poursuite hallucinante de virtuosité visuelle, de tension et de pyrotechnie, elle conte en filigrane la naissance d’un émoi amoureux. Au-delà des véhicules qui se traquent et s’emboutissent, Wade/Parzival court après Samantha/Art3mis dans un grand télescopage des sentiments. La scène se termine sur un plan d’une infinie beauté où Parzival se jette pour saisir au vol le bras d’Art3mis.
On revient à la dimension politique de READY PLAYER ONE : la culture, vecteur d’évasion, éveille la conscience, encourage à se révolter, à s’indigner, à prendre le destin du monde en main. À travers leur œuvre, Spielberg et Halliday (le premier plus directement que le second), appellent la jeunesse à se soulever et à s’élever. Quoi de plus spielbergien que cette exaltation du pouvoir de l’imaginaire ? Que cet espoir dans la génération qui nous suit ? Que cette nécessité d’affronter le passé pour construire le futur ? Cela n’a sans doute rien d’un hasard si, à la fin de READY PLAYER ONE, le sort du monde et la transmission de l’OASIS de Halliday à Wade se jouent dans une chambre d’enfant. Ces dernières années, Steven Spielberg n’a eu de cesse de mettre en scène des personnages questionnant les paradigmes en place. Sans doute parce que, comme James Halliday, porté par un humanisme et une œuvre refusant de céder à ses peurs, à ses névroses ou aux ténèbres, il aimerait transmettre le monde et le quitter dans un meilleur état qu’il ne l’aura connu de son vivant. ● READY PLAYER ONE. En salles
Cet article a été corrigé : il était auparavant dit que Sam lançait la réplique ‘Cool if I lead’ lors de la scène de danse en gravité zéro, alors qu’elle le fait lors de la scène de danse avec un zombie.
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