Cannes 2018 : GIRL / Critique

12-05-2018 - 12:28 - Par

Cannes 2018 : GIRL

De Lukas Dhont. Sélection officielle, Un Certain Regard.

 

Synopsis officiel : Lara, 15 ans, rêve de devenir danseuse étoile. Avec le soutien de son père, elle se lance à corps perdu dans cette quête d’absolu. Mais ce corps ne se plie pas si facilement à la discipline que lui impose Lara, car celle-ci est née garçon.

 

C’était l’un des films les plus guettés de la Croisette. Premier long d’un jeune réalisateur belge, GIRL en impose et ce dès les premiers instants. Mais attention, la séduction qu’opère Lukas Dhont n’a rien du tape-à-l’œil habituel des petits surdoués du cinéma. C’est toute la prouesse de ce très beau film qui touche au cœur, emporte et enivre avec un art juste, maîtrisé et mesuré du regard. Profondément empathique, jamais emphatique, la caméra observe, écoute, aime ses personnages comme rarement on l’a vu récemment au cinéma. La trajectoire de Lara, décidée à devenir danseuse malgré ce corps de garçon, aurait pu faire sombrer le récit dans le voyeurisme sensationnel. C’est tout l’inverse. Cinéma sensible plus que sensoriel, GIRL imagine un naturalisme amoureux, une attention si délicate aux détails qu’on se sent immédiatement intime avec ces personnages.

De ce fait, on entre dans leur quotidien par la douceur d’un réveil. On apprend vite les règles, les non-dits, on capture les sourires complices et les regards tristes comme autant de fragments d’une vie d’avant sur laquelle Lukas Dhont a l’intelligence et l’élégance de ne pas s’appesantir. Complètement mû par l’énergie courageuse de son héroïne qui ne désire qu’un futur meilleur, le film s’illumine de sa ténacité, de son audace et de sa grâce. Pourtant, GIRL est un film sur la souffrance d’un corps. Dans de longues et belles séquences de danse, on voit Lara tenter de reprendre possession de son corps, de le dompter, de l’infléchir et de le courber à sa guise. La métaphore peut paraître simpliste, elle est immédiate, bouleversante et très cinématographique. Surtout, la souffrance de son héroïne raconte en creux la violence d’une société qui ne voit que dans la maîtrise et la norme classique une forme de beauté. On est d’autant plus bouleversé par le regard de Lukas Dhont que, lui, évacue toutes les normes et les tensions supposées et attendues. Face à Lara, son père apparaît comme un sublime personnage viril, compréhensif, attentif. Il y a quelque chose de profondément tendre et réconfortant à voir ce duo père-fille supposément dramatique n’être qu’un cocon d’amour. Outre la performance physique troublante de Victor Polser (Lara), toute cette émotion vivace tient à la justesse de la direction d’acteur, tout en non-dits quotidiens.

Mais Dhont n’angélise pas son sujet. Si la tendresse et la force entourent Lara, la violence et la souffrance prenne petit à petit le pas, comme une sorte de nuage qui viendrait assombrir l’été. Plus qu’un « coming of age », GIRL est un « coming of self », le chemin d’une âme pour devenir vraiment elle-même, d’un père pour aimer sa fille et la protéger du monde. Dhont sait le poids des sacrifices, la douleur d’être prisonnier d’un corps, la violence mentale que cela suppose. Voir ce personnage si puissant petit à petit sombrer provoque une colère saine. Si la fin choc du film marque peut-être une rupture trop brutale avec la lumière du début, on sort de ce premier long ultra maîtrisé avec la sensation rare d’avoir partagé et compris, grâce au cinéma, la vie et les choix d’une inconnue. Du haut de sa vingtaine et quelques, Lukas Dhont donne aux vieux briscards du naturalisme choc punitif une belle leçon d’humanisme et de cinéma.

De Lukas Dhont. Avec Victor Polster, Arieh Worthalter. Belgique. 1h45. Prochainement

 

 

 

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