Cannes 2018 : LES FILLES DU SOLEIL / Critique

12-05-2018 - 23:50 - Par

Cannes 2018 : LES FILLES DU SOLEIL

D’Eva Husson. Sélection officielle, Compétition.

 

Synopsis officiel : Au Kurdistan, Bahar, commandante du bataillon Les Filles du Soleil, se prépare à libérer sa ville des mains des hommes en noir, avec l’espoir de retrouver son fils. Une journaliste française, Mathilde, vient couvrir l’offensive et témoigner de l’histoire de ces guerrières d’exception. Depuis que leur vie a basculé, toutes se battent pour la même cause : la femme, la vie, la liberté.

 

Si les intentions d’un film importent – ne serait-ce que d’un point de vue éthique ou moral peut-on évaluer un accord ou un désaccord fondamental avec un cinéaste dès le niveau de ses intentions –, elles ne peuvent suffire à établir le regard critique. Écrire sur LES FILLES DU SOLEIL nécessite d’évacuer immédiatement, ou du moins très rapidement, ce prisme de lecture. Oui, les intentions de la réalisatrice Eva Husson sont nobles. Oui encore, le sujet de son film est fort. Et, bien sûr, mettre en exergue l’héroïsme des combattantes kurdes face aux troupes de Daech est nécessaire. Mais non, cela ne suffit évidemment pas. La mise en scène, aussi fonctionnelle qu’impersonnelle, n’offre aucun point de vue visuel marquant sur ces combattantes, leur lieu de vie, leur guerre, leurs blessures. Jamais capable de retranscrire, de recréer, de mettre en scène en somme, cette réalité tragique qui constitue le cœur de son sujet, la cinéaste a même parfois la désagréable idée de se servir du sordide comme source de tension et de pathos sans jamais filmer la violence en face. Tout juste Eva Husson parvient-elle à construire de l’imagerie jusqu’à, parfois, tomber dans du poncif au sentimentalisme mal maîtrisé, à l’instar de cette scène où les filles du soleil dansent au ralenti alors qu’une d’elles donne le sein à son bébé – que le récit tende à réduire chaque femme à une image maternelle s’avère par ailleurs un problème assez déconcertant du film. Rien n’apparaît ici réellement organique, à l’image de scènes de guerre sans relief ni énergie. Tout apparaît forcé et artificiel, soigneusement reconstitué, certes, mais jamais injecté d’un moindre souffle de vérité. Sans doute parce que le film se heurte à d’évidents problèmes d’écriture. Si son titre se décline au pluriel, il n’y a ici qu’une fille du soleil qui intéresse Eva Husson : Bahar, campée avec conviction et talent par Golshifteh Farahani. Un détail ? Au contraire : les autres filles du soleil apparaissent comme de simples figurantes, voire des faire-valoir, et c’est tout leur combat qui peine à exister à l’écran. En refusant le portrait collectif et en se focalisant sur Bahar et son pendant journaliste Mathilde (mal servie par la prestation forcée d’Emmanuelle Bercot), Husson se prive d’explorer divers visages de combattantes, diverses raisons de leur engagement. En mettant de côté ses autres filles, en les cantonnant à occuper l’arrière-plan de manière fonctionnelle, elle appauvrit considérablement son récit. Elle circonscrit son sujet à un seul protagoniste que, de surcroît, elle caractérise sans profondeur : les flashbacks qui définissent le parcours de Bahar semblent ainsi vouloir réduire son engagement à une réaction à ses souffrances. Mais peut-on vraiment croire que toute victime devienne combattante ? Ou que ce soit là l’unique raison de son héroïsme ? Ce simplisme un peu binaire rappelle les produits hollywoodiens les plus rebattus, au point que LES FILLES DU SOLEIL semble manquer cruellement, si ce n’est de point de vue, au moins d’un regard fort et fouillé sur son sujet. Académique et très convenu, voire irritant comme durant son générique de fin, LES FILLES DU SOLEIL se révèle simplement incapable d’oublier ses intentions et de faire du cinéma.

D’Eva Husson. Avec Golshifteh Farahani, Emmanuelle Bercot, Zübeyde Bulut. France. 1h56. Sortie le 21 novembre

 

 

 

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