Cannes 2018 : HEUREUX COMME LAZZARO / Critique

15-05-2018 - 15:16 - Par

Cannes 2018 : HEUREUX COMME LAZZARO

D’Alice Rohrwacher. Sélection officielle, Compétition.

 

Synopsis officiel : Lazzaro, un jeune paysan d’une bonté exceptionnelle vit à l’Inviolata, un hameau resté à l’écart du monde sur lequel règne la marquise Alfonsina de Luna. La vie des paysans est inchangée depuis toujours, ils sont exploités, et à leur tour, ils abusent de la bonté de Lazzaro. Un été, il se lie d’amitié avec Tancredi, le fils de la marquise. Une amitié si précieuse qu’elle lui fera traverser le temps et mènera Lazzaro au monde moderne.

 

L’art du conte est un exercice délicat. Surtout au cinéma, qui supporte difficilement le poids des allégories. Pourtant, c’est le choix audacieux que fait Alice Rohrwacher avec un cinéma au naturalisme merveilleux, empreint de philosophie et de douceur. Dans LES MERVEILLES, elle écoutait battre le cœur fatigué du monde rural à travers les yeux d’une jeune fille qui rêvait du monde contemporain via l’arrivée de la télévision. Ce second long HEUREUX COMME LAZZARO décline la mélancolie cruelle du premier opus mais cette fois-ci avec l’ambition d’un film-monde. Si on y retrouve l’attention singulière et sensuelle de la réalisatrice pour les gestes du quotidien et l’artisanat comme art de vivre, elle y déploie un récit plus ample, plus triste aussi, qui prend la forme directe d’une fable. Lazzaro est un saint, un gentil bênet au regard tendre qui observe le monde et lui obéit. Il faut accepter d’emblée la singularité du personnage, l’allégorie qu’il incarne, sous peine de passer à côté du film. Car HEUREUX COMME LAZZARO raconte ni plus ni moins que le cycle du monde vers le malheur. Un état de grâce perdu, noyé par la soumission et les jeux de pouvoirs auxquels Lazzaro ne saisit rien. Il y a dans les yeux de ce personnage quelque chose de mystérieux, une forme de naïveté qui désarçonne. C’est la force du film de mener la guerre aux cyniques et d’oser filmer frontalement la méchanceté des hommes, la servilité qu’impose le capitalisme et de lui opposer la candeur d’un héros qui n’y comprend rien. Mais surtout d’opérer un principe d’intemporalité qui floute tout repère pour le spectateur. Cette histoire se passe hier ? Aujourd’hui ? Demain ? La bonté hors du temps de Lazzaro traverse le temps et constate amèrement la dégradation de tout. Quittant la beauté des paysages pour une seconde partie très urbaine, Alice Rohrwacher n’en oublie pas la poésie et réussit à insuffler à ces paysages de béton une douce mélancolie. C’est un château que les lierres ont recouvert, un abri de fortune près des voies de chemins de fer, un petit chien malade qui trotte sur les trottoirs, une petite fille joyeuse devenue une femme inquiète, tout un monde brinquebalant qui s’effondre sur lui-même. C’est doux et triste comme le regard perdu de Lazzaro sur la dégringolade d’un monde qu’il ne comprend pas. L’homme est un loup pour l’homme nous dit Alice Rohrwacher mais parfois le loup est fatigué… Une jolie morale douce-amère qui clôt une fable sensible sur la décrépitude du monde contemporain et l’espoir difficile mais tenace en la bonté.

D’Alice Rohrwacher. Avec Adriano Tardiolo, Alba Rohrwacher, Luca Chikovani. Italie. 2h10. Prochainement

 

 

 

 

 

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