Cannes 2018 : SOLO / Critique

16-05-2018 - 11:01 - Par

Cannes 2018 : SOLO

De Ron Howard. Sélection officielle, Hors compétition.

 

Synopsis officiel : Au cours de périlleuses aventures dans les bas-fonds d’un monde criminel, Han Solo va faire la connaissance de son imposant futur copilote Chewbacca et croiser la route du charmant escroc Lando Calrissian. Un voyage initiatique qui révèlera la personnalité d’un des héros les plus marquants de la saga Star Wars.

 

Avec les STAR WARS STORY, films indépendants de la saga-mère consacrée aux Skywalker et à leur entourage, Lucasfilm tente de prouver que sa licence emblématique peut exister de manière florissante dans des univers légèrement différents et des genres variés. Après le bancal et faussement novateur film de guerre ROGUE ONE, la nouvelle tentative, le heist movie SOLO, apparaît comme un jalon risqué, un test, puisque le film se penche sur la jeunesse de l’un des personnages chéris de l’univers de George Lucas, Han Solo. Avant tout, si SOLO prouve une chose, c’est la nette différence d’implication du spectateur entre un STAR WARS STORY et un épisode de la saga principale. Plutôt amusant mais globalement inconséquent, SOLO présente des lacunes d’écriture et dans le concept-même du projet. À bien des égards, il relève d’un fanboyisme stérile digne d’un Kylo Ren singeant son grand-père. On assiste ainsi à tous les passages obligés – et redoutés – d’un prequel origin story : rencontres de Han avec des personnages emblématiques de son univers, scènes entières dont le but est de réifier ce que les volets originaux mentionnaient dans de simples répliques de contextualisation ou de caractérisation… Heureusement, au-delà de cette tendance hollywoodienne ridicule à tout expliquer, à tout baliser comme si plus rien ne pouvait exister dans le mystère, certains autres clins d’oeil, voyants pour les fans mais plus malicieusement insérés dans le récit, se révèlent plus organiques et justifiés – parmi eux, l’une des dernières scènes permet de recadrer la personnalité légendaire et iconique de Han et de l’affirmer définitivement.

Outre son fanboyisme aigu, SOLO pèche surtout sur la construction de son récit. La première moitié patine, toussote, incapable de captiver, tant elle se résume à une succession laborieuse de séquences d’action – certes plutôt bien troussés, notamment la poursuite introductive, dans laquelle Ron Howard fait preuve de la même vitalité visuelle que dans RUSH avec ses euphorisants plans au sol. Des moments de bravoure sans réelle dramaturgie – alors que cela a toujours été le fort de STAR WARS de faire de l’action un outil narratif à l’impact décisif. Goofy et énergique plus que de raison, bruyant à l’extrême au point que, du brouhaha, on distingue difficilement le score performatif de John Powell d’un sound design particulièrement agressif et tapageur : SOLO semble faire trop d’effort pour plaire à la jeune génération et, dans sa tentative de spectacle total, en oublie un peu l’ADN de STAR WARS. Et ce, alors même que le ton, lui, renvoie directement à la malice ironique, à l’aérien sentimentalisme de l’esprit Lucas et des premiers volets. Sans doute parce qu’en dépit d’un récit bancal, les personnages et leurs interprètes sont pour la plupart irrésistibles, attachants, vecteurs immédiats d’empathie. Tous ou presque ont une occasion de briller et c’est bien lorsque SOLO s’attarde sur leur destin qu’il en prend de la substance. Le tournant ? Une superbe scène impliquant le droïde L3 et Lando lors d’une scène de bataille terrestre. Émotion et spectacle : tout y est et là, enfin, SOLO décolle.

Il parvient dans sa deuxième heure à transcender sa nature de heist movie infusé au western de l’espace pour délivrer autant un regard politique assez fort sur notre monde – via le très beau personnage de l’antagoniste Enfys Nest – qu’à mener les personnages au bout de leur chemin émotionnel. Dans cette seconde moitié, SOLO mène à bien, avec beaucoup de tact et de sentiments, sa thématique principale : suivre une bande de misfits s’affranchir d’un joug qui, pendant des années, les a écrasés, niés, déshumanisés. « On sert tous quelqu’un », dit Qi’Ra et c’est justement cet état de servitude que tous vont finir par combattre. Par un hasard méta, c’est lorsque les personnages s’affranchissent de ce joug que SOLO s’affranchit de sa nature de STAR WARS STORY circonscrit à son univers originel. Quand le fanboyisme limite l’univers, le soin apporté aux personnages l’étend. Là, la photo du chef opérateur Bradford Young, qui fera sans doute débat, se révèle essentielle. Elle débute dans les nuances les plus sombres et ternes pour, séquence après séquence, s’éclairer. À mesure que les personnages se libèrent et affirment leur identité en dehors d’un système oppressif, la lumière vient soigneusement dessiner leurs traits, les contre-jours se font moins tranchés, les ombres plus subtiles, l’étalonnage moins ouvertement rongé par les ténèbres. Rarement aura-t-on vu un travail de lumière aussi réfléchi, conceptuel, purement narratif et affirmé dans un blockbusters de cette ampleur – même si le jusqu’au-boutisme de Young se révèle parfois déconcertant. Reste que son travail permet à SOLO d’avoir une réelle identité – il ne ressemble à aucun autre STAR WARS -, de donner corps au divertissement, au-delà de ses profondes lacunes et de son inconséquence globale.

De Ron Howard. Avec Alden Ehrenreich, Donald Glover, Emilia Clarke, Woody Harrelson. États-Unis. 2h15. Sortie le 23 mai

 

 

 

 

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