Cannes 2018 : DONBASS / Critique

09-05-2018 - 16:02 - Par

Cannes 2018 : DONBASS

De Sergei Loznitsa. Sélection officielle, Un Certain Regard, film d’ouverture.

 

Synopsis officiel : Dans le Donbass, région de l’est de l’Ukraine, une guerre hybride mêle conflit armé ouvert, crimes et saccages perpétrés par des gangs. Dans le Donbass, la guerre s’appelle la paix, la propagande est érigée en vérité et la haine prétend être l’amour. Ce n’est pas un conte sur une région, un pays ou un système politique. Cela concerne l’effondrement de l’humanité et de la civilisation en général. Cela concerne chacun d’entre nous.

 

Les longs-métrages de fiction de Sergei Loznitsa ont toujours exploré la barbarie et la déshumanisation poussées jusqu’à l’absurde, jusqu’à ce que l’individu soit à ce point nié par le système dans lequel il vit qu’il n’ait plus d’autre choix que d’exploser ou de plier. Si DONBASS ne fait pas exception, ce quatrième film dénote dans la filmographie du réalisateur voire, il opère un revirement. Documentariste – une carrière qu’il n’a jamais quittée -, Loznitsa signait jusqu’a présent des films à la charge esthétique évidente et, le plus souvent, fascinante. Dans DONBASS, il hybride les formes puisqu’il rejoue en fiction des situations réelles, qu’il filme avec un certain naturalisme urgent.

Qu’il se permette certains longs plans à la virtuosité certaine (les premiers et derniers du film) et si sa mise en scène conserve cette précision volontairement écrasante, Loznitsa n’en reste pas moins ici en retrait esthétique. Une première déception, tant son cinéma fascinait auparavant pour la poésie surprenante qui naissait de la friction entre laideur du récit et beauté de l’image. Mais surtout, en dépit de quelques scènes fantastiques – le film est construit en cadavre exquis de 13 épisodes non reliés entre eux si ce n’est par un personnage passant du premier au second plan – et du brio intact de Loznitsa pour bâtir des mondes-cauchemars où rien n’a de sens, où l’empathie et l’humanité ont abdiqué, DONBASS peine à convaincre pleinement. La raison ? Une certaine nébulosité venant plomber toute possibilité d’universalité et donc d’identification.

Évidemment qu’a travers le chaos vécu par la région ukrainienne du Donbass, Loznitsa vise à interroger un état plus vaste du monde – la manière dont la propagande et le storytelling politique prennent ici une place centrale renvoie à des phénomènes bien plus globaux. Bien sûr qu’il entend confronter le spectateur aux concepts de plus en plus trompeurs et aliénants de nationalité, d’identité territoriale etc. Mais DONBASS échoue souvent à nourrir cette universalité en raison de son refus de contextualiser son récit. A priori, ne pas définir ou qualifier ce qui se joue à l’écran, ne pas expliquer le conflit du Donbass, devrait faciliter l’identification – mais dans ce cas, pourquoi choisir ce titre ? Le contraire se produit : le style documentariste empêche toute évasion, toute incursion dans un univers de fiction et le voile réaliste qu’appose Loznitsa sans jamais expliquer le contexte, exclut.

Alors faisons-le à sa place : lors de la crise ukrainienne de 2014 durant laquelle le peuple fit tomber le gouvernement qui refusait d’entrer dans l’Europe, certaines factions et gangs militaires séparatistes, défendant une allégeance à la Russie, ont pris le pouvoir dans la région du Donbass, la plongeant dans le chaos de la guerre. Certaines scènes, d’une puissance tragique ou absurde imparable, survivent. Mais d’autres finissent étouffées par ce manque de contextualisation, au point d’user notre intérêt – et notre patience. Un peu comme dans UNE FEMME DOUCE, Loznitsa semble ici tellement rongé et aveuglé par la colère, qu’il finit par lâcher les rênes et partir en roue libre. Et le sujet de prendre alors le pouvoir sur le cinéma.

De Sergei Loznitsa. Avec Tamara Yatsenko, Liudmila Smorodina, Olesya Zhurakovskaya. Ukraine. 1h50. Sortie le 26 septembre

 

 

 

 

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