Séries Mania 2018 : le bilan

07-05-2018 - 20:58 - Par

SERIES MANIA 2018 : LE BILAN

Bilan de cette première édition lilloise du festival Séries Mania. L’occasion de revenir sur une sélection qui semble démontrer un essoufflement général.

 

Ces dernières années se sont distinguées par une croissance des reboots (ou remake), où l’art de reprendre une formule qui a fait ses preuves sans s’encombrer d’une continuité trop imposante. C’est donc avec amusement que l’on a pu apprécier une nouvelle édition du festival consacré aux séries internationales, arborer fièrement sa « première saison », dans sa nouvelle demeure lilloise. Séries Mania au Forum des Images (à Paris) est morte, vive Séries Mania Lille Hauts-de-France !

Mais tout reboot fonctionne sur les réminiscences de l’œuvre mère. On ne sera pas surpris de retrouver les traditionnelles compétitions (section officielle, française, panorama international, formats courts), les rubriques (culte, marathon des comédies, conférences) ainsi que les rencontres (Carlton Cuse, Patrick Duffy, Jeremy Podeswa, Charlie Covell, Sofia Helin ou encore Chris Brancato). Une façon de célébrer ce qui a fait le succès et la renommée de Séries Mania et de rendre un peu plus familière cette nouvelle organisation lilloise.

 

Un festival en mutation

À l’image de sa délocalisation, cette première édition nordique évoque la mutation d’un monde comme ligne générale. Séries Mania Lille Hauts-de-France inspire un déjà-vu rassurant pour ses habitués mais le festival souhaite aussi s’ouvrir davantage au public. Aux sériephiles pointus venus éprouver leur curiosité pour des contrées exotiques (Russie, Japon, Argentine, Israël, Allemagne, Danemark, Pays-Bas, Canada, Australie, Espagne sont au programme), cette édition 2018 invite des spectateurs plus habitués aux diffusions françaises venir célébrer leur amour populaire pour les grands succès du moment. Corinne Masiero (CAPITAINE MARLEAU), Cécile Bois (CANDICE RENOIR), Elodie Varlet (PLUS BELLE LA VIE) ou la distribution des PETITS MEURTRES D’AGATHA CHRISTIE ont été célébrées par un public nombreux et enthousiaste à l’idée de rencontrer leurs héros et ont fait de cette édition un espace plus populaire.

Une ouverture bienvenue pour un événement qui pouvait sembler hermétique ou trop contenu dans son art. Une aération générale où l’on sort des sous-sols des Halles parisiennes pour se promener sur les pavés du centre lillois. De cette mutation qui prend davantage possession de la ville et la teinte de ses couleurs, le festival se découvre une nouvelle ampleur mais sacrifie sa convivialité. Si les claustrophobes pourront enfin respirer à l’idée de voir le jour entre deux séances, l’éclatement (raisonnable) du dispositif rogne sur la proximité des lieux parisiens et sacrifie une ambiance plus familiale que la réputation sur la chaleur humaine des gens du Nord ne viendra pas tout à fait apaiser.

 

Un monde en mutation

Comprendre le monde en regardant sa représentation sérielle a toujours été l’un des objectifs du festival. Ce qui ressort (avec une volonté manifeste de mettre des personnages féminins au premier plan, poursuivant un travail effectué depuis trois ans) c’est un monde qui évolue, régresse, se délite (repli identitaire dans ROMPER STOMPER – photo ci-dessous), s’oppose (les villes de THE CITY AND THE CITY ; l’orthodoxie et la laïcité de AUTONOMIE) ou se bouleverse (IL MIRACOLO).

 

Romper-Stomper

 

Dans YOCHO, Kiyoshi Kurosawa illustre, sans effets spéciaux, un monde où des extra-terrestres remplacent et volent des émotions ou concepts humains – comme dans son dernier film en date, AVANT QUE NOUS DISPARAISSIONS, adapté de la même pièce de théâtre. Le réalisateur japonais réinvente L’INVASION DES PROFANATEURS DE SÉPULTURES comme il revisitait le film de fantôme dans KAIRO ou le thriller dans CURE. Mais son dispositif trop théâtral, sa réalisation brute et une narration générale qui se délite dans son dernier tiers viendront ternir un tableau qui a des choses intéressantes à dire (une dernière scène qui n’est pas sans évoquer le final de BLADE RUNNER) mais où l’horreur organique et l’étrangeté indicible qui ont fait la renommée du réalisateur finissent par s’annuler.

The-Rain-PosterAD VITAM imagine un futur où l’on vit éternellement grâce à la régénération. Elle pose les questions d’une existence sans fin, de l’intérêt d’une vie sans mort et place des interrogations psycho-philosophiques devant le suicide d’adolescents. Une belle idée pour un résultat frustrant. THE RAIN, série danoise produite par Netflix, plonge le monde dans une catastrophe écologique où la pluie devient mortelle. On pense au PHÉNOMÈNE de M. Night Shyamalan, mais à la défaveur de la série qui ne parvient à reproduire la force du long métrage américain pour un banal récit de survie. NU fait de notre futur un monde transparent où le port d’habits en public est prohibé. AUX ANIMAUX LA GUERRE bouge la tectonique des plaques sociales dans un coin des Vosges. Des séries qui montrent des paysages (politiques, écologiques, sociaux) en mutation, en manque de repère et fragiles. À l’image des flash-backs de THE HANDMAID’S TALE dont les deux premiers épisodes de la seconde saison furent diffusés.

 

Des séries en mutation ?

Une mutation que l’on aurait aimé célébrer est celle d’un art sériel qui semble manquer de souffle. Cette première édition lilloise souffre d’une sélection terne, tiède, incapable de proposer de nouveaux espaces à explorer. Si le festival représente le pouls d’une production mondiale, on vit un âge de plomb où toute spécificité culturelle liée à son pays semble évacuée. Les danoises THE RAIN, GREYZONE et WARRIOR pourraient être tournées en espagnol, allemand, russe ou anglais, on n’y verrait aucune différence. On semble assister, impuissant, à une mondialisation d’un art qui se formate (ou se complait dans des formules efficaces) pour tenter d’être universel. Aucune série ne se distingue mais toutes s’inscrivent dans une incapacité à renouveler les formes et les sujets.

Face à cette mondialisation artistique, les anglais font preuve de repli. Si les séries anglaises du festival ne vont pas défricher des territoires inconnus, elles se montrent habiles quand il s’agit de puiser dans leurs forces. Du drame social porté par ses personnages (KIRI, récompensée très justement du prix des blogueurs), de l’étude de couple (COME HOME, qui aurait mérité d’être remonté en 1h45) ou des portraits de femmes (THE SPLIT, série élégante et efficace dans un cabinet spécialisé dans les divorces). On passera volontiers sous silence KISS ME FIRST de Bryan Esley (SKINS) où une animation laide raconte une réalité virtuelle déjà poussiéreuse.

Seule éclaircie dans cet horizon morose, HUBERT & FANNY, venu du Canada qui explore, sur la longueur, la mécanique de la comédie romantique. Dans cet espace plus grand, la série évacue la dictature feel good pour illustrer un amour naissant aussi galvanisant que douloureux. Un coup de foudre comme choc psychologique qui entend bouleverser le monde. Finalement, c’est cette micro-mutation que l’on retiendra.

 

Et la France ?

Comme tous les ans, la France fut à l’honneur durant cette édition lilloise. Une excellente conférence de Pierre Ziemniak (auteur de « Exception Française, 60 ans de séries » aux éditions Vendemiaire) est venue rappeler combien l’hexagone possède un vrai patrimoine sériel qu’on a oublié. De VIDOCQ à BELPHEGOR en passant par ARSÈNE LUPIN ou LA BRIGADE DES MALÉFICES, notre histoire télévisée est parsemée de belles réussites dans des genres riches et variés. L’Association des Critiques de Séries (dont l’auteur de ces lignes fait partie) s’est quant à elle plongée sur un état des lieux de notre production en se demandant si on pouvait célébrer sa révolution. L’occasion de revenir sur nos carences, nos réussites trop éparses qui ressemblent davantage aux parcours d’une poule à laquelle on a coupé la tête (course erratique avant de tomber, inerte) qu’un mouvement solidaire et contestataire. Si on a pu relever des notes d’espoir, la programmation des avant-premières du festival a de quoi nous rendre alarmiste.

TF1 continue son entreprise de contrefaçon (après la réussite des BRACELETS ROUGES) avec INSOUPÇONNABLE (remake de l’anglaise THE FALL), décalque honteux aux dialogues consternant. MAMAN A TORT (France 2) sacrifie sa dimension psychologique (un enfant de quatre ans prétend que sa mère n’est pas sa mère) pour un thriller bas de gamme. KEPPLER(S) tente le parallèle entre les troubles dissociatifs de personnalités de son personnage principal (Marc Lavoine, dépassé par le rôle) et la quête identitaire des réfugiés de la jungle de Calais. Une intention louable décapitée par une direction narratrice pataude et des choix visuels improbables. AUX ANIMAUX LA GUERRE (France 3) traite le drame social sans intensité. Si le message est salvateur, la narration apathique freine totalement la charge. NU (OCS) ne choisit pas entre franche (et lourde) comédie et récit d’anticipation. La dés-érotisation des corps est bienvenue mais la pauvreté générale rend la série difficile à regarder.

Ad-VitamSeule AD VITAM éveillera l’intérêt mais de gros problèmes de construction viennent ternir l’enthousiasme. On regrettera particulièrement le choix de l’archétype policier comme principe moteur de la narration dans une histoire qui n’avait pas besoin d’une mécanique aussi directrice. Des suicides d’adolescents dans un monde où l’on ne meurt plus naturellement est un sujet suffisamment fort pour tenir tout seul. Thomas Caillet (LES COMBATTANTS) avait pourtant de quoi tutoyer le drame intimiste de THE LEFTOVERS, porté par l’incroyable Garance Marillier (GRAVE), toute en intensité contenue et douleur sourde. A côté, c’est toute la distribution qui paraît fade (Yvan Attal en tête).

 

En conlusion…

Un reboot ou une mutation réussie repose sur la connaissance de son patrimoine génétique. À ce titre, la greffe lilloise est une réussite. Le festival n’a rien perdu de ses qualités, montre un visage davantage tourné vers le grand public (apparition de séances de dédicaces, module « mes séries préférées » avec des personnalités du petit écran).

On regrettera néanmoins une sélection terne, souffrant d’un manque d’originalité, de risques, de propositions tranchées et assumées, de contrastes. Si les paysages mutent, les séries restent les mêmes…

 

 

 

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