DÉTECTIVE DEE – LA LÉGENDE DES ROIS CÉLESTES : chronique

02-08-2018 - 12:54 - Par

DÉTECTIVE DEE - LA LÉGENDE DES ROIS CÉLESTES : chronique

Porté par un exceptionnel sens de l’épique et du spectaculaire, le nouveau Tsui Hark sait manier les écrans de fumée pour faire place à un cheval de Troie.

 

En préambule de la projection de presse de la troisième enquête du Détective Dee, nous attendait un surprenant complément de programme : un petit coucou de Tsui Hark en vidéo, saluant les premiers spectateurs français de son nouvel opus. De quoi ravir le fan-club local, mais aussi faire passer un message bien plus facile à décrypter que les énigmes codées que Dee résout de film en film. S’il vaut mieux être sinologue pour appréhender pleinement le discours politique qui a souvent accompagné ses réalisations et ses productions, le propos de ce message-là est sans aucune ambiguïté. Hark y précise mot à mot qu’il serait temps que les blockbusters chinois connaissent enfin dans nos salles la carrière qu’ils méritent. Un axe parfaitement en phase avec les très clairs appels du pied des nouveaux moguls du cinéma chinois, ayant fait comprendre qu’il faut désormais jouer donnant-donnant : depuis quelques années leurs portes s’ouvrent de plus en plus aux films occidentaux, le service inverse est aujourd’hui demandé.

De quoi illico aborder DÉTECTIVE DEE : LA LÉGENDE DES ROIS CÉLESTES autrement que par son exceptionnel goût pour le spectaculaire. Encore plus dans ce troisième film que dans les deux premiers, il est question d’enjeux de pouvoir et d’apparences. Les atours de cheval de Troie pour une industrie cinématographique en sont renforcés, surtout quand cet épisode avance non masqué pour se glisser dans les plis d’un cinéma de studio américain contemporain (jusqu’à en reprendre certains codes comme les séquences post-générique) tout en mettant en avant une culture de cinéma purement chinoise – certains passages relèvent de la pure comédie cantonaise telle qu’elle pullulait dans les années 80 et le jeu d’une bonne partie des seconds rôles est empesé par une tradition de théâtre populaire.

Sans la maestria de la mise en scène de Hark, DÉTECTIVE DEE : LA LÉGENDE DES ROIS CÉLESTES pourrait paraître parasité par cette hybridation motivée par des contingences économiques. Qu’importe si l’intrigue s’éparpille plus que d’habitude, délaissant toute logique au profit d’affrontements entre créatures gigantesques, la promesse d’un spectacle épique et sans répit est plus que tenue. Hark semble prendre sa revanche sur ses premières expériences dans le cinéma à effets spéciaux et notamment ZU, LES GUERRIERS DE LA MONTAGNE MAGIQUE, approximatif en la matière, et s’amuser pleinement sur ce terrain de jeu. Il s’impose plus que jamais en indéboulonnable patron du cinéma d’action chinois, tant grâce à la défection des autres vétérans du cinéma hongkongais d’hier (les derniers Johnnie To et John Woo sonnent le glas de leurs hégémonies quand Ringo Lam, Ching Siu-Tung ou Ronny Yu sont depuis trop d’années aux abonnés absents) que par la domination sur les nouveaux venus (les trois DÉTECTIVE DEE écrasent la concurrence actuelle des licences de Wu Xia Fantasy, des MONSTER HUNT à BROTHERHOOD OF THE BLADE ou aux resucées de MONKEY KING). Et ce, de son utilisation parfaite de la 3D au travail impeccable sur l’emplacement des sous-titres.

Reste que, contrairement aux deux premiers volets ou à LA BATAILLE DE LA MONTAGNE DU TIGRE, on peut s’émouvoir d’une certaine absence de chair (autre que numérique) que ne pallient ni une folle énergie ni le charisme d’un Mark Chao en Sherlock Holmes médiéval, étonnamment poussé hors du récit pendant sa majeure partie. DÉTECTIVE DEE : LA LÉGENDE DES ROIS CÉLESTES rate son statut de classique immédiat, par manque d’incarnation. On ne saurait pourtant trop recommander d’aller voir ce qui s’impose comme un des meilleurs divertissements de cette saison, voire de l’année, tout en s’interrogeant sur les risques que court Tsui Hark à vouloir être le fer de lance d’un empire cinématographique chinois visiblement entré en colossal plan de bataille pour conquérir le monde. Un personnage du film teste la capacité à rester soi-même tout en voulant agir sur le monde : il faut espérer que le réalisateur en tire les leçons – et le film termine sur une note de méfiance vis-à-vis du pouvoir, ce qui rassure – et ne finisse pas par pasteuriser la puissance de son cinéma (IL ÉTAIT UNE FOIS EN CHINE, THE BLADE, TIME AND TIDE et tant d’autres) dans la soumission aux ordres impériaux.

De Tsui Hark. Avec Mark Chao, Carina Lau, William Feng, Kenny Lin. Chine. 2h12. Sortie le 8 août

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