THE LITTLE STRANGER : chronique

26-09-2018 - 14:23 - Par

THE LITTLE STRANGER : chronique

Lenny Abrahamson s’attaque au film de genre mais à sa façon, en jouant avec ses codes et sur les limites du naturalisme. Exigeant et intrigant.

 

Dans ROOM, le précédent film de Lenny Abrahamson, la protagoniste lançait à sa mère : « Voilà qui je suis maintenant, fais avec. » Une affirmation de ce qu’elle était, entièrement, y compris sa part sombre – résultat de ce qu’elle avait subi et que son entourage aurait aimé oublier. Pour le cinéaste, une manière de parler à travers son personnage et d’imposer fermement et définitivement sa patte après dix ans de carrière. On ne s’étonnera donc pas, aujourd’hui, de le voir s’approprier avec assurance un pan de cinéma qui (a priori seulement) semble à l’opposé du sien. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, le Dr Faraday (Domhnall Gleeson) se lie d’amitié avec les Ayres, dont le domaine tombe en ruines et que, par le passé, sa mère a servis en tant que gouvernante. Bientôt, le manoir de la famille est le théâtre d’événements étranges… Avec THE LITTLE STRANGER, adaptation du roman gothique « L’Indésirable » de Sarah Waters (déjà auteure du livre ayant inspiré MADEMOISELLE de Park Chan-wook), Abrahamson évolue dans le film de genre et d’époque, quand sa filmographie restait jusqu’alors chevillée au réalisme et au contemporain. Son cinéma n’en est pas dénaturé pour autant même si, en modelant un univers rebattu à son image, il le laisse lui insuffler un inévitable vent de nouveauté. Friand de films exigeants, dévoués à des personnages à la marge d’une société écrasante, porté sur un style discret mais précis, totalement anti spectaculaire, Abrahamson confirme avec THE LITTLE STRANGER, objet profondément désenchanté et contaminé par l’état de déréliction du monde actuel. Ici, le réalisateur irlandais ne chronique pas tant les bouleversements de classe de l’après-guerre que le déterminisme, les injustices et inégalités qui continuent de gangréner nos sociétés. Le film ne cède à aucune facilité – le protagoniste est mal aimable ; les enjeux et la résolution ambigus –, ne contourne aucune complexité notamment dans sa façon de mixer naturalisme et artifice, multiplie les zones d’ombres visuelles et narratives. Le tout pour le portrait d’un monde sans résilience possible, où aucun fossé ne semble pouvoir être comblé – la mise en scène de la solitude et de la froideur de Faraday, isolé dans le cadre, parfois seul individu debout dans une assistance assise et oisive, est remarquable. Moins puissamment déchirant que GARAGE, moins ouvertement fou que FRANK ou universellement touchant que ROOM, THE LITTLE STRANGER s’insinue plus sournoisement dans l’esprit du spectateur et fascine pour la pudeur avec laquelle il cache une grande humanité derrière un rigorisme presque lugubre. 

De Lenny Abrahamson. Avec Domhnall Gleeson, Ruth Wilson, Charlotte Rampling. Royaume-Uni. 1h51. Sortie le 26 septembre

4Etoiles

 

 

 

 

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