UNE AFFAIRE DE FAMILLE : chronique

11-12-2018 - 10:51 - Par

UNE AFFAIRE DE FAMILLE : chronique

D’une grande justesse émotionnelle et sociopolitique, cette chronique familiale bouleverse. Kore-eda a bien mérité sa Palme d’Or.

 

Si Kore-eda avait proposé un changement convaincant de genre et de style avec THE THIRD MURDER, impossible de bouder son retour à l’étude de la famille – les Shibata, vivant d’expédients, accueillent une petite fille trouvée dans la rue, errant seule. Kore-eda fait encore montre d’une rigueur d’écriture admirable : chaque personnage a droit de cité et les interactions entre chacun sont explorées avec subtilité et tendresse – le lien entre la jeune Aki, danseuse au peep-show, et sa mamie ; la relation lumineuse entre Osamu et son épouse Nobuyo (géniale Sakura Ando) ; entre Osamu et son fils Shota. Kore-eda observe cette famille vivant de petits boulots et de larcins sans jamais teinter son regard du moindre jugement. À la marge de la culture oppressante de l’efficacité, les Shibata vivent dans une maison traditionnelle entourée d’immeubles bétonnés, joli symbole de leur place à part dans la société, entre tradition et modernité, légalité et criminalité. D’autant que le foyer qu’ils forment n’a rien d’ordinaire. Kore-eda prend le temps de disséquer leur manière de vivre, avant de soigneusement la déconstruire pour en dévoiler la complexité. Pendant plus de 90 minutes, UNE AFFAIRE DE FAMILLE se conjugue sur le mode de la chronique : le plus important n’est pas tant une hypothétique intrigue que le cœur émotionnel de ces personnages, le déroulé de leur existence, leurs joies simples, leurs peines sourdes, leurs rires spontanés. C’est bien tout le génie de Kore-eda de savoir encapsuler la vie simplement, pour la partager ensuite sur l’écran avec délicatesse et générosité. Ici encore, il démontre son brio de dramaturge, multiplie les séquences débordant de sentiments, qu’il met subtilement en scène – les compositions et la lumière protectrice dans le décor enserré de la maison sont du grand art. Cette succession de moments vrais crée un tourbillon d’humanisme qui, sans qu’on le soupçonne, mène à un dernier acte d’une intensité dramatique terrassante. Mis face à leurs secrets, les Shibata se dévoilent encore plus humains et faillibles qu’on ne le croyait déjà, ils se font les vecteurs d’un portrait très ambivalent d’un Japon dont les traditions semblent cacher un délitement du tissu social. Cette dernière demi-heure renvoie directement à NOBODY KNOWS et TEL PÈRE TEL FILS : lorsque la tragédie se joue, Kore-eda et ses personnages transpercent le cœur avec des mots simples, de ceux que l’on dit à voix basse, en secret, sans personne pour les entendre. Parce qu’ils n’attendent ou ne supposent aucune réciproque, ils sont sans doute les plus importants. 

De Hirokazu Kore-eda. Avec Sakura Ando, Lily Franky, Kirin Kiki. Japon. 2h01. Sortie le 12 décembre

4Etoiles

 

 

 

 

Pub
 
 

Les commentaires sont fermés.