LES DERNIERS JEDI : STAR WARS en héritage, Ep. 2

20-12-2018 - 16:59 - Par

LES DERNIERS JEDI : STAR WARS en héritage, Episode 2

Ressenti comme un démarquage trop brutal et rejeté en bloc par certains spectateurs, LES DERNIERS JEDI n’a pourtant rien d’un sacrilège. Suite logique du RÉVEIL DE LA FORCE, il mène à éclosion toutes les graines semées par J.J. Abrams et poursuit une œuvre de transmission devant assurer le futur littéral et méta de STAR WARS. Inutile de dire que le texte qui suit est 100% spoilers.

 

Lire la première partie : LE RÉVEIL DE LA FORCE, STAR WARS en héritage

 

Cet article a été publié au préalable dans le magazine Cinemateaser n°71 daté février 2018

 

« Qu’est-ce qui vous fait penser à STAR WARS ? », a un jour demandé Rian Johnson à ses concept artists, recevant alors une foule de réactions. « La seule bonne réponse, c’est que quelque chose vous fait penser à STAR WARS parce que c’est comme ça. Cela relève d’une vision très personnelle », explique-t-il dans le livre « Tout l’Art
 de STAR WARS LES DERNIERS JEDI ». Qu’on soit quadragénaire fan de la première heure, jeune adulte biberonné aux prequels, enfant admirateur du RÉVEIL DE LA FORCE ou simple spectateur, tout le monde a son STAR WARS. Impossible donc, pour un réalisateur de la saga, de contenter chaque membre du public. Rian Johnson l’a appris à ses dépens. « J’espère que notre vision de STAR WARS s’accordera à la vôtre », écrit-il, ignorant que des fans allaient voir en ce huitième épisode une négation de la saga. Il faut dire que depuis la sortie du RÉVEIL DE LA FORCE, certains spectateurs ont, dans leur tête et à coups de théories, imaginé leur EPISODE VIII. Comment lâcher prise ensuite et accepter la « vision très personnelle » de Johnson ? Comme encouragés par Mark Hamill, assurant ne pas avoir compris ce que le cinéaste faisait de son personnage, certains s’insurgent. LES DERNIERS JEDI démythifierait STAR WARS. Ce Luke n’est pas le leur. Cette Force n’est pas la leur. Ce Leader Suprême Snoke, que l’on tue sans en dévoiler le passé, n’a aucun sens. Et tant pis si LE RETOUR DU JEDI n’en révélait pas plus sur l’Empereur Palpatine. La projection astrale de Luke ou la manière dont Leïa use de la Force pour se sauver d’une mort certaine sont-elles plus capillotractées que les Fantômes de Force, la connexion télépathique établie par Luke avec sa jumelle dans L’EMPIRE CONTRE-ATTAQUE, la coercition mentale d’Obi-Wan sur les Stormtroopers ? George Lucas a-t-il, à chaque scène de la trilogie originelle, validé ce que la Force pouvait et ne pouvait accomplir ? Ce Luke des DERNIERS JEDI qui a abandonné la Force, en dépit de son cynisme, diffère-t-il tant de celui du RETOUR DU JEDI qui refusait de tuer Vador, préférant la mort que lui promet l’Empereur ? Rian Johnson finira par tweeter : « Mon but n’a jamais été de diviser, mais ces débats devaient avoir lieu si nous voulions que STAR WARS grandisse, avance et reste pertinent. » Dans cette réplique réside un élément constitutif essentiel de la nouvelle trilogie initiée par J.J. Abrams : la vocation profonde et assumée du RÉVEIL DE LA FORCE était de transmettre STAR WARS à une nouvelle génération de personnages, d’artistes et de spectateurs et, ainsi, de la conduire à se transformer (voir article ‘LE RÉVEIL DE LA FORCE : STAR WARS en héritage’ dans Cinemateaser n°51 ou sur cinemateaser.com). « L’identité que tu cherches n’est pas derrière toi, mais devant », assurait ainsi Maz à Rey. LES DERNIERS JEDI n’est qu’une suite logique de cette intention : pour les personnages de STAR WARS, comme pour la saga elle-même, la survie réside dans la connaissance de leur Histoire et dans une volonté de la transcender.

La première demi-heure des DERNIERS JEDI joue avec le spectateur. Rian Johnson donne l’impression, par un humour sarcastique pas toujours maîtrisé, de détricoter LE RÉVEIL DE LA FORCE, de juger le travail de J.J. Abrams comme celui d’un vulgaire copiste. Ainsi, Snoke déclare à Kylo s’être trompé sur son potentiel de « nouveau Vador » et lui ordonne d’ôter « ce masque ridicule ». Mais en qualifiant Kylo « d’enfant avec un masque », Snoke et Johnson ne font qu’entériner verbalement ce qu’Abrams avait montré de ce personnage bouillonnant, puéril, incapable de trouver son identité et allant vers le mimétisme pour se la forger. De son côté, Luke déverse sa bile sur les Jedi, ces « héros déifiés et glorifiés » – renvoi à la place de STAR WARS dans la pop culture. Mais Johnson prend rapidement de la distance avec cette pensée, préférant convoquer l’amour de Rey pour les légendes qu’avait si bien croqué Abrams. LE RÉVEIL DE LA FORCE se concluait en suspens, Rey offrant à Luke son sabre-laser, symbole d’un passage de témoin solennel à venir. Lorsque LES DERNIERS JEDI prend le relais, Luke regarde son sabre et le jette par-dessus son épaule. Ce geste trivial peut choquer, d’autant que sa charge ironique apparaît déséquilibrée et malvenue à ce moment précis. Pourtant, bien que maladroit, cet instant DOIT évidemment choquer. Johnson cherche à décevoir les fans : ils doivent comprendre que leurs vieilles idoles ne sont pas l’alpha et l’oméga. Rey, elle aussi, doit l’intégrer. Seulement ainsi pourra-t-elle devenir elle-même – en tant que personne et, à un niveau méta, en tant que personnage de STAR WARS. « Laisse mourir le passé. Tue-le s’il le faut. C’est comme ça que tu deviendras ce que tu dois être », dit Kylo à la jeune femme.

Cette exhortation à « tuer le passé » se révèle, elle aussi, en partie trompeuse. Elle doit notamment être remise dans son contexte : prononcée par l’antagoniste, elle a forcément un sens extrême. Johnson ne vise pas à faire table rase, remisant le classicisme respectueux d’Abrams au placard. Loin de là. « Cette idée de devoir brûler le passé pour avancer m’est hautement personnelle, explique-t-il à Spike Jonze dans le podcast Director’s Cut. Je repense à certaines périodes de ma vie où je désirais certaines choses… Je crois que si vous pensez avancer en [brûlant le passé], vous vous leurrez. Ce passé sera toujours là, vous allez juste le renier mais il va grandir en vous puis vous exploser à la figure. Rey est une manière de refuser deux extrêmes – brûler le passé ou l’idolâtrer au point d’en être prisonnier. » Dans « Tout l’Art des DERNIERS JEDI », il précise : « Rey essaie de se reconnecter à son passé alors que Kylo veut tout jeter. Au bout du compte, je suis du côté de Rey. »

Ainsi, Rian Johnson provoque le spectateur et ses personnages, les confronte à un héritage envahissant. Et là, par des ajustements dramaturgiques marquants, va entériner l’idée de transmission, de passage de témoin, telle que modelée par LE RÉVEIL DE LA FORCE. D’un côté, Kylo devient Leader Suprême quand il tue son père spirituel Snoke – tout comme il avait tué son père de sang Han Solo dans l’épisode précédent. De l’autre, Rey abandonne Luke sur son île puisqu’il ne souhaite pas prendre part au combat – tout comme elle avait dû, seule, prendre son destin en main en se saisissant du sabre dans le combat final face à Kylo dans l’EPISODE VII. Un basculement s’opère et se confirme lors d’une scène discrète : dans l’arbre qui cache les anciens textes Jedi, Luke, intrigué, presque admiratif, demande à Rey qui elle est, pourquoi elle s’est rendue sur son île d’exil. La gravité dramaturgique du film ne repose alors plus sur Luke, mais sur Rey. Qu’il s’interroge sur sa nature et son identité, sur ses intentions et ses ambitions, fait d’elle le centre névralgique émotionnel et narratif. Elle devient le nouveau vecteur de solennité de STAR WARS, tout comme Luke l’était dans l’EPISODE IV. Rey devient « l’étincelle d’espoir » en lieu et place de Luke.

Au final, tant mieux qu’il n’ait pas transmis solennellement son sabre à Rey: la jeune femme récupèrera l’arme à son compte, sans demander la permission, symbole évident de sa prise en main de STAR WARS – amorcée dans LE RÉVEIL DE LA FORCE lorsqu’avec Finn elle s’emparait du Faucon Millénium. Luke lui assène : « Tu n’as pas besoin de Luke Skywalker ». Dans LES DERNIERS JEDI, tout comme dans LE RÉVEIL DE LA FORCE, les anciens, s’ils peuvent être des guides ou des mentors, ne sont pas garants de l’avenir, au contraire d’une nouvelle génération qui doit se saisir de son monde.

 

LES DERNIERS JEDI réaffirme la transmission de STAR WARS à une nouvelle génération et, ainsi, constitue une continuation narrative et théorique parfaite du RÉVEIL DE LA FORCE. Johnson se doit alors de poser la question : et maintenant ? Que doivent faire les nouveaux héros de cet univers ? Que doivent faire les nouveaux artistes et spectateurs de l’objet STAR WARS ? LE RÉVEIL DE LA FORCE posait son regard sur un monde rongé par les erreurs du passé, hanté par ses fantômes et ses ruines, répétant de génération en génération ses névroses, ses peurs – et, donc, usait de références visuelles évidentes et de ‘refaisage’ pour l’illustrer. LES DERNIERS JEDI, lui, va peut-être plus loin et prend littéralement la forme de ce cycle infernal via un récit de fuite perpétuelle : la Résistance a beau fuir, sauter dans l’hyper-espace, le Nouvel Ordre la rattrape toujours. Toutes les guerres filmées dans STAR WARS se retrouvent résumées dans cette intrigue  à la stérilité absurde.

Pour surmonter cette répétition inlassable, la transmission à une nouvelle génération ne suffit pas. Les héros
 (et par ricochet les artistes et les spectateurs) doivent comprendre les transformations dont ils sont à la fois la raison et le moteur. Ainsi, Poe Dameron puis Finn sont confrontés aux conséquences de leurs actes qui, à bien des égards, perpétuent l’idée de fuite en avant réifiée par l’intrigue. Et il n’y a évidemment rien d’anodin à ce que leurs élans de virilité prétendument héroïques soient questionnés par trois générations de femmes – Leïa, Holdo et Rose. Dans leur volonté de diversité et d’inclusion, LE RÉVEIL DE LA FORCE et LES DERNIERS JEDI s’ancrent dans leur époque et ses bouleversements : chaque spectateur a son STAR WARS et chaque génération doit voir la saga muter pour lui correspondre, pour accompagner le progrès. Dans ce processus, certains fans de la première heure peuvent 
se sentir dépossédés de leurs ‘jouets’. Pourtant, le propos de Rian Johnson
 et d’Abrams est clair : les nouveaux paradigmes ne peuvent affirmer leur viabilité qu’en connaissance du passé.
 LE RÉVEIL DE LA FORCE ne vit pas d’une nostalgie stérile et LES DERNIERS JEDI ne démythifie rien : chacun, dans 
un mouvement commun, fait au contraire acte d’un héritage, aussi lourd soit-il, pour avancer.

Yoda le clame à Luke : « Nous sommes le socle sur lequel ils croissent. C’est le vrai fardeau des Maîtres. » Ce qui est vrai pour les Maîtres Jedi l’est pour la trilogie originelle, George Lucas et les fans de la première heure. Pour Yoda, il faut que Luke transmette également ses erreurs : la nouvelle génération doit en avoir conscience pour ne pas les répéter. Dans l’EPISODE VIII comme dans le VII, le passé reste une donnée vitale, même si l’on est en réaction. Rian Johnson filme une ancienne génération effrayée par les plus jeunes (Luke face à Ben Solo et Rey), presque impuissante. Il rappelle dans le même temps l’immortalité de ces légendes, de leur message d’espoir – l’hologramme de Leïa, tiré de l’EPISODE IV, que R2D2 projette pour tenter de convaincre Luke de rejoindre Rey. Bien que Han soit mort, son aura, ce qu’il représente, vit et vibre à travers le Faucon Millénium : en pleine bataille, Finn souligne en jubilant que les Tie Fighters « détestent ce vaisseau » ! Lorsque Luke s’évanouit à la fin du film, un ciel à deux soleils rappelle celui qu’il observait sur Tatooine. L’équilibre dont parlait Johnson est là : pour éviter de bégayer les mêmes erreurs, il ne faut pas brûler le passé, ne pas l’idolâtrer non plus, mais en avoir conscience, se sentir lié à lui, avec résilience. L’embrasser si nécessaire 
– Luke apparait à Kylo dans une version que ce dernier connaît et abhorre, plus jeune, pour le provoquer au combat. L’affronter quand il le faut.

La plupart des personnages des DERNIERS JEDI s’opposent ainsi à leur passé, à leur oppresseur : Kylo et Finn défont Snoke et Phasma, Luke affronte Kylo. Quant à Rey, elle ne cesse de chercher ses origines. La question trouve une réponse ferme mais logique, en écho à la phrase de Maz citée plus haut : Kylo lui révèle que ses parents l’ont abandonnée et vendue contre de l’alcool, qu’ils sont désormais morts et enterrés. « Tu ne viens de rien, tu n’es rien. Tu n’as pas de place dans cette histoire », lui dit-il, comme si seule une filiation au passé ou le fait d’appartenir à une lignée assurait un futur et une place dans ce monde. Tout le contraire se produit : Rey devient « le dernier Jedi » et impose à Kylo, mais aussi à Luke, qui elle est, ses principes, ses valeurs. « Je suis Rey », dit-elle à Poe lors de leur première rencontre à la fin des DERNIERS JEDI. « Je sais », lui répond le pilote de X-Wing : la jeune femme s’est fait un nom. Aussi bien au sein de l’univers narratif dont elle est désormais l’héroïne que, de manière méta, comme moteur principal de la saga STAR WARS. Alors que rien, dans ses origines, ne la relie aux premiers films, Rey acquiert le statut de légende et incarne désormais pleinement STAR WARS, son présent et son futur – contrairement aux personnages de ROGUE ONE par exemple, dont l’existence était conditionnée au tout premier film, les réduisant à l’état de pantins.

 

Han Solo est mort. Luke Skywalker est mort. Carrie Fisher est morte, imposant un destin funeste à Leïa. Mais la saga STAR WARS est plus vivante que jamais. « La Rébellion vient de renaître. Et je ne serai pas le dernier Jedi », lance Luke. L’EPISODE IX ne pourra qu’être la célébration, par son réalisateur J.J. Abrams, et l’acceptation, par le public, d’une prise de pouvoir totale et définitive d’une nouvelle génération. « Il n’y a plus que nous, maintenant », disait déjà Kylo à Finn et Rey dans LE RÉVEIL DE LA FORCE. Dans « Tout l’Art de STAR WARS LES DERNIERS JEDI », Rian Johnson
 écrit : « On s’est tournés vers le passé pour essayer de comprendre ce qui nous a tant inspirés dans l’univers créé par Lucas, McQuarrie et tous les autres. (…) Au bout du compte, ce ne sont pas les vieux documents dans les archives, les vieux dessins, les vieux synopsis, les vieilles interviews. Les seules recherches qui importent vraiment, c’est de nous demander ce qui rendait STAR WARS si réel pour nous quand nous avions 6 ans, et d’écouter notre cœur. »

Cette idée constitue le plan final des DERNIERS JEDI : à l’autre bout de la galaxie, un jeune palefrenier réduit en esclavage se saisit, grâce à la Force, de son balai figurant un sabre laser et regarde les étoiles, pensif, captivé par les légendes que sont Luke et Rey. À travers lui, Johnson assène le pouvoir de fascination sans cesse renouvelé de STAR WARS : en se transmettant, la saga se transforme dans le regard de son nouveau public. Mais surtout, elle se pérennise. Si l’on honore son passé et qu’on en transmet ses valeurs, STAR WARS sera toujours STAR WARS. Une nouvelle génération sera toujours là pour se saisir de la saga, l’honorer, la bousculer, affirmer sa pertinence et sa contemporanéité, la remodeler à son image et à celle de son époque. Dans l’EPISODE IX, J.J. Abrams peut mener à bien cette image, ce mouvement qu’il a initié dans LE RÉVEIL DE LA FORCE. Pour continuer à avancer et à vivre, STAR WARS n’a pas d’autre choix que de laisser le passé s’enfuir. Il s’agirait peut-être même de la seule manière de le célébrer.

 

STAR WARS LES DERNIERS JEDI
Disponible en DVD et Blu-ray

 

 

 

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