COMPAÑEROS : chronique

26-03-2019 - 17:57 - Par

COMPAÑEROS : chronique

La « nuit de douze ans » – de 1973 à 1985 – de trois opposants à la junte en Uruguay dans un film courageux et puissant.

 

Les titres, français et original, tous deux très imagés, du film d’Alvaro Brechner, COMPAÑEROS et LA NOCHE DE 12 AÑOS, sont aussi parlants que complémentaires. Trois opposants à la dictature militaire vont passer une « nuit de douze ans » dans les geôles uruguayennes et, sans pouvoir ni se voir, ni se toucher, ni se parler, à peine communiquer en morse, devenir de vrais compagnons unis à jamais par leur idéologie, mais aussi par l’expérience partagée de la torture et de la survie. Brechner nous propose sur deux heures de vivre à leur côté un emprisonnement inhumain, sans autre répit qu’une poignée de flashbacks sur leur arrestation ou des échappées au bord du délire. Des trois, José Mujica (joué par le minimaliste mais toujours précis Antonio de la Torre) est celui qui frôlera le plus la folie pure ; Huidobro (joué par Alfonso Tort) et Rosencof (Chino Darin), eux, comptent les jours la rage au ventre, trouvant parfois la force de tourner leurs geôliers en ridicule (hilarante réunion d’urgence dans les waters) ou de manœuvrer pour obtenir quelque faveur. Le film ne raconte pas autre chose que douze ans d’obscurantisme, par ceux qui en sont les témoins aveugles. Derrière leurs barreaux, des bribes de dates, d’événements politiques ou sportifs leur parviennent mais eux, comme nous, sont face au silence, eux voués à ruminer l’injustice, nous à observer ces résistants en cage. Une démonstration de jeu d’acteurs puissants, à qui Brechner offre un écrin quasi-expérimental, des assauts de sons et d’images comme un casse-tête assourdissant. Mais ce n’est jamais au détriment des personnages : une partie très narrative du film est consacrée au portrait de leur humanité et c’est alors là que l’engagement émotionnel du spectateur est à son maximum ; une autre partie, plus abstraite, plus sensorielle et viscérale, opère leur destruction et c’est notre conscience politique qui s’affole. Les deux se télescopent violemment dans une scène au surréalisme sublime où, après des années d’isolement, on dribble avec un ballon de foot invisible sous les cris exaltés des prisonniers aux fenêtres. Le temps d’une fausse partie, le jeu collectif leur rend leur humanité, leur joie, parce que c’est ce que la dictature leur a enlevé : le droit à l’insouciance. Bien que les années passent et les jours d’incarcération s’égrainent inexorablement, le film ne sombre dans aucune routine cinématographique car ceux qu’il montre ne s’ennuient jamais, ils souffrent. C’est cette souffrance et cette résistance physique, mentale et idéologique que COMPAÑEROS raconte si bien.

D’Alvaro Brechner. Avec Antonio de la Torre, Chino Darín, Alfonso Tort. Uruguay / France / Espagne / Argentine. 2h02. Sortie le 27 mars 

4Etoiles

 

 

 

 

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