EL REINO : chronique

17-04-2019 - 08:51 - Par

EL REINO : chronique

Après QUE DIOS NOS PERDONE, Rodrigo Sorogoyen continue de s’affirmer comme l’un des jeunes cinéastes européens les plus passionnants. EL REINO, chronique (es)soufflante de la corruption est un rouleau compresseur de cinéma.

 

Alors qu’il est sur le point d’être promu au sein de son parti, le politicien espagnol Manuel López-Vidal (Antonio de la Torre) se retrouve au centre d’une affaire de corruption et d’une tempête médiatique. Assailli de toutes parts, il décide de réagir et de tout faire pour échapper à la justice… Les frontières entre les genres et les cinématographies sont aujourd’hui si floues qu’il est possible de rapprocher deux films d’apparence opposée. Ainsi, EL REINO partage énormément avec une autre sortie du mois, CAPTIVE STATE. L’un, espagnol, est un thriller du réel contemporain ; l’autre, américain, un drame SF se déroulant dans le futur. Mais tous les deux imposent au spectateur un même point de vue collant aux basques de son ou de ses protagonistes et se servent d’une mise en place floue, offrant peu de clés auxquelles se raccrocher, pour créer un tourbillon narratif déconcertant mais captivant. Sauf que là où CAPTIVE STATE bâtit un récit par bribes, EL REINO est d’une linéarité totale, véritable rouleau compresseur que rien ne peut arrêter.
Tout commence sur une plage, alors que Manuel López-Vidal parcourt les quelques dizaines de mètres qui le séparent d’un restaurant où il partage une table avec des collègues. Un long plan en mouvement virtuose, sans coupe, sur une musique électro au beat implacable. De là, EL REINO va dérouler son récit sans jamais laisser le moindre répit à son personnage ou à ses spectateurs, tout en faisant preuve d’une grande variété de ton et de style. De la comédie dramatique grinçante à la chronique
politique véhémente jusqu’au thriller du réel, EL REINO mute littéralement devant
la caméra portée et embarquée de Rodrigo
Sorogoyen qui, en grand angle, sous une lumière naturaliste crue presque brûlante,
met en image le destin de Manuel López-Vidal tel un reportage capté sur le vif, dans
la cruauté et l’urgence de l’instant. Filmant
les arcanes d’un système politique et d’un
parti dont on ne sait rien (est-il de gauche
ou de droite ?), multipliant les références à
des tractations ou à des malversations dont
on ne connaîtra pas toujours les tenants et aboutissants, EL REINO bouscule le spectateur dans tous les sens, et fait de la
marche désespérée de ce politicien un véritable geste de mise en scène – la musique
et le montage se calent constamment sur le
pas décidé d’un Antonio de la Torre dévorant la pellicule, phénoménal d’animalité. Sorogoyen en fait peut-être parfois trop, comme s’il se laissait emporter par ce cyclone filmique qu’il a lui-même créé – comme durant ce plan séquence dans une maison à Andorre, légèrement frimeur, dont naît pourtant une tension asphyxiante. La réussite de EL REINO réside pourtant dans ce trop-plein : regardant sans détour la corruption et le comportement absurde d’un homme incapable de prendre ses responsabilités, Sorogoyen signe un film total, autant porté par sa nature de spectacle que bouffé par la colère qui l’anime. Comment ne pas être admiratif d’un réalisateur capable de se cramer volontairement les doigts sans perdre toutefois jamais totalement le contrôle ?

De Rodrigo Sorogoyen. Avec Antonio de la Torre, Bárbara Lennie, Luis Zahera. Espagne / France. 2h11. Sortie le 17 avril

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