Cannes 2019 : LA FEMME DE MON FRÈRE / Critique

16-05-2019 - 11:50 - Par

Cannes 2019 : LA FEMME DE MON FRÈRE

De Monia Chokri. Sélection officielle, Un Certain Regard.

 

Synopsis officiel : Montréal. Sophia, jeune et brillante diplômée sans emploi, vit chez son frère Karim. Leur relation fusionnelle est mise à l’épreuve lorsque Karim, séducteur invétéré, tombe éperdument amoureux d’Eloïse, la gynécologue de Sophia…

Un premier long-métrage bourré de style, d’humour et de cinéma, porté par une actrice phénoménale. Une petite merveille de mélancolie et de méchanceté déguisée en bonbon pop.

Il suffit d’une séquence à Monia Chokri pour imposer son regard et son univers. Dans un amphithéâtre sordide d’une faculté québécoise, des universitaires vraiment poussiéreux discutent de l’avenir d’une jeune thésarde. Par un montage abrupt et des angles de caméra qui s’entrechoquent, elle crée un mélange d’absurde et d’intime irrésistible. Tandis qu’on s’engueule sur son cas et que la situation dégénère, Sophia trône, légèrement blasée, au centre. Voilà, son avenir est joué, retour à la case déprime. Film d’amour, film de famille, film de galères existentielles, portrait mordant d’une génération sarcastique, LA FEMME DE MON FRÈRE se jette dans les névroses de ses personnages avec l’insolence joyeuse de vouloir en faire du cinéma. Comme chez Dolan dont Monia Chokri est très proche (ils ont joué ensemble dans LES AMOURS IMAGINAIRES), le réalisme se stylise à l’aune des émotions contrariées. Jump cut, plans symétriques, étirement du plan fixe, look vintage, flash de couleur, ralenti, tout est bon pour secouer le monde et ainsi se voir à travers le regard de cette Sophia, formidable héroïne attachiante. Elle forme avec son frère Karim un improbable duo qui ironise sur tout. Brillants, ils mettent le monde à distance pour mieux le supporter et utilisent leur esprit contre les autres. Mais le jour où Karim rencontre l’amour, Sophia n’est pas d’accord et rentre en guerre. Nouant et dénouant avec habileté les liens mystérieux qui unissent une sœur à un frère, la réalisatrice raconte avec humour et une pointe de méchanceté le bordel intérieur d’une jeune femme qui voit la vie des autres changer alors qu’elle stagne. Par son humour à froid, son style, son sens du malaise et sa mélancolie tenace, le film donne l’impression d’avoir digéré le meilleur d’un certain cinéma névrosé (les premiers Wes Anderson, le cinéma de Todd Solondz) et d’en formuler une version profondément féminine, profondément neuve et actuelle, à l’instar de Phoebe Waller-Bridge avec la série FLEABAG. Une réussite jubilatoire qui permet de découvrir l’incroyable Anne-Elisabeth Bossé, merveilleuse dans ce rôle improbable de Droopy tête à claque. Sans aigreur ni malice mal venue, elle offre à ce personnage une humanité, une évidence comique, une immédiateté qui donneraient envie de la suivre encore des heures. Derrière le chic joyeux et ludique du film (la B.O est à tomber), c’est cette émotion-là, c’est ce regard juste, un peu foutraque, un peu fantaisiste, qui touche et rend le film si attachant. L’élégance de regarder les choses en face pour mieux les supporter.

De Monia Chokri. Avec Anne-Elisabeth Bossé, Patrick Hivon, Evelyne Brochu. Canada. 1h57. Sortie le 26 juin

 

 

 

 

 

 

Pub
 
 

Les commentaires sont fermés.