Cannes 2019 : UNE GRANDE FILLE / Critique

16-05-2019 - 14:42 - Par

Cannes 2019 : UNE GRANDE FILLE

De Kantemir Balagov. Sélection officielle, Un Certain Regard.

 

Synopsis officiel : 1945. La deuxième guerre mondiale a ravagé Léningrad. Au sein de ces ruines, deux jeunes femmes, Iya et Masha, tentent de se reconstruire et de donner un sens à leur vie.

« Vous avez survécu, mais maintenant… » Les points de suspension, dans cette réplique d’UNE GRANDE FILLE, font tout, disent tout. Maintenant… quoi ? TESNOTA, le premier long-métrage de Kantemir Balagov, prodige russe de 28 ans, vibrait d’une énergie du désespoir dévorante face à l’adversité. Son deuxième, UNE GRANDE FILLE, est lui traversé par un élan de vie beaucoup plus retors. Après la guerre, après la mort, après le traumatisme, comment tenir ? La première heure du film est hantée par la mort – celle des enfants notamment, une représentée à l’écran, les autres nommées et pleurées. Le syndrome post-traumatique assaille chaque personnage, de Iya, très grande fille assaillie de crises nerveuses qui la figent, peu importe sa position, rendant sa respiration impossible, à Macha, son amie revenant du front, en passant par Stepan, victime du siège de Leningrad, désormais tétraplégique. Balagov, armé de son sens du cadre irréprochable et d’un travail sur la caméra sachant insuffler du baroque dans le trivial, met en scène la mort sans crier gare – un bras qui lutte et qui s’effondre, une bouche qui cesse tout à coup d’aspirer la fumée d’une soufflette – car elle consomme tout, même le désir de maternité, elle rôde dans chaque plan. Même si intimiste, se déroulant dans peu de décors, sans musique, même dénué d’ampleur visible (les plans larges sont rares), il se dégage de cette GRANDE FILLE un grand sens du romanesque, aussi endeuillé et contrit soit-il, à mesure que Balagov accumule les moments de vie et les petites histoires. Beaucoup passe par les regards, les silences douloureux ou gênés, les sourires dignes ou tristes, les non-dits courageux ou enragés. Peut-être trop, d’ailleurs. Comme dans TESNOTA, Balagov a parfois tendance à légèrement étirer son récit – même si sa longueur reste un de ses atouts -, et se perd légèrement en diluant un mystère inutile – le cœur de la psychologie très complexe, abrasive, voire cruelle de Macha se voit exposé d’un bloc, vers la fin, comme s’il s’agissait d’un twist artificiel. Mais en dépit de ces quelques flottements, UNE GRANDE FILLE dénote d’un talent plus que singulier : Balagov balaie ici un spectre assez exceptionnel d’émotions, il suscite le malaise, le trouble, la tendresse, l’empathie, la colère aussi. Regardant au plus profond de la souffrance de survivants, de leurs deuils impossibles – de proches ou d’une partie d’eux-mêmes -, il établit des personnages fascinants d’humanité, dans tout ce qu’ils ont de faillible et de résilient, des relations âpres animées de sentiments impossibles. « Vous avez survécu, mais maintenant… » Maintenant, quoi ? L’élan de vie, forcément. Qui peut se révéler aussi dévorant que le chaos et la mort. Mais c’est bien pour ça qu’on s’accroche au lendemain : pour enterrer le passé.

De Kantemir Balagov. Avec Victoria Miroshnichenko, Vasilisa Perelygina, Andrey Bykov. Russie. 2h10. Sortie le 18 septembre

 

 

 

 

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