Cannes 2019 : DOULEUR ET GLOIRE / Critique

17-05-2019 - 19:32 - Par

Cannes 2019 : DOULEUR ET GLOIRE

De Pedro Almodóvar. Sélection officielle, Compétition.

 

Synopsis officiel : DOULEUR ET GLOIRE raconte une série de retrouvailles après plusieurs décennies, certaines en chair et en os, d’autres par le souvenir, dans la vie d’un réalisateur en souffrance. Premières amours, les suivantes, la mère, la mort, des acteurs avec qui il a travaillé, les années 60, les années 80 et le présent. L’impossibilité de séparer création et vie privée. Et le vide, l’insondable vide face à l’incapacité de continuer à tourner.

Après TOUT SUR MA MÈRE, un « Tout sur Pedro » pudique, profond et entêtant. Un vrai beau moment de cinéma.

Qu’attend-on d’un grand artiste ? De se remettre en question ou de creuser encore et encore son art ? D’être profondément qui il est, jusqu’à l’inévitable épuisement de soi, ou bien de savoir être tous les autres aussi ? À cette question sans réponse, Pedro Almodovar répond avec DOULEUR ET GLOIRE. Plus qu’un film somme, le vingt-et-unième film du cinéaste espagnol est une radiographie profonde et délicate de lui-même et donc de son cinéma.

En apparence, le film, déguisé en mélo, est drapé des ors et des parures sublimement kitsch du cinéaste. L’écran rougeoie, les chemises à fleurs valsent et les couleurs s’entrechoquent avec ce bon mauvais goût réjouissant qui ont fait la beauté intemporelle de TALON AIGUILLES ou TOUT SUR MA MERE. Mais ici, l’esthétique est comme un décorum, comme une grille de lecture, un filtre qui tamise et permet de se regarder en face. Pas d’ironie donc, pas de second degré rassurant cette fois, pas de foisonnement romanesque exubérant qui permet de camoufler les blessures. À peine un magnifique double ami pour pouvoir se raconter.

Sans mimétisme, juste parce que son existence de cinéma est profondément liée à celle de Pedro, Antonio Banderas endosse avec maestria le costume trouble de cet avatar, Salvador Mallo, cinéaste espagnol culte épuisé et hagard en panne d’existence. Un Almodovar de cinéma qui ne trompe personne dont l’histoire, le cinéma, les erreurs et les doutes ne renvoient qu’à Pedro. Une convention polie, un jeu délicat entre le vrai et le faux que le spectateur accepte comme on écouterait un ami nous parler d’un autre pour mieux nous parler de lui. Bouleversant et génial, Banderas, en offrant son corps blessé (le film s’ouvre sur la cicatrice de l’acteur après son récent malaise cardiaque) et ses tempes grisonnantes à la caméra de Pedro, participe à cette émotion vivace, cette mélancolie pudique et complice qui parcourt tout le film. Comme si Pedro et Antonio se regardaient l’un l’autre en face par écran interposé. Un dispositif, un film comme une vanité, dont la beauté simple et immédiate intrigue et remue.

Hanté par la mort et les regrets, le film n’en est pourtant jamais morbide ni sinistre. Zigzagant entre les souvenirs d’une enfance solaire (Penélope Cruz, magique mater dolorosa de cinéma) et les doutes d’aujourd’hui, Almodovar tisse une improbable et magnifique « Recherche du Temps Perdu » sous héroïne. Voulant à tout prix échapper à la douleur physique d’un corps qui vieillit, Salvador croit dorénavant qu’il ne peut vivre que dans ses souvenirs. À l’image de son appartement-musée, le personnage vit dans un mausolée, enfermé dans un passé qu’il couche par écrit sur son écran d’ordinateur dans des textes qu’il refuse de faire lire. Il faudra l’intervention d’une cinémathèque et d’une ancienne rancœur nichée dans un film d’avant pour que le passé redevienne présent. Petit à petit, le film s’accélère, sort de sa torpeur opiacée et oblige ce héros proustien à quitter sa cathédrale de souvenirs. Au cœur du film, une scène de retrouvailles, suspendues, sublimes, déchirantes et pourtant pleines de lumière. Un moment de cinéma parfait, peut-être l’un des plus beaux du cinéma d’Almodovar. Au lieu de masquer la douleur, de la déguiser, Salvador/Pedro l’affrontent enfin. Pas besoin de sous-texte, de clé, de savoir ce qui est vrai ou faux, l’émotion profondément pudique et délicate est d’une sincérité absolue.

Naturellement, les fantômes de son cinéma flottent, pas loin, dans notre esprit. Les matrones au bord de la crise de nerf, les excès de camp, le sexe et la violence, les circonvolutions contrariées du désir, le cinéma comme échappée, tout son univers de cinéaste est soudain vu comme des filtres fantasmatiques, des anti-douleurs pour faire passer la pilule de ses doutes et des regrets. Magnifique. Tandis qu’au loin voguent ces échos, c’est l’homme que son film regarde. Tout sur Pedro.

De Pedro Almodóvar. Avec Antonio Banderas, Asier Etxeandia, Leonardo Sbaraglia. Espagne. 1h52. Sortie le 17 mai

 

 

 

 

 

 

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