Cannes 2019 : BULL / Critique

15-05-2019 - 13:03 - Par

Cannes 2019 : BULL

D’Annie Silverstein. Sélection officielle, Un Certain Regard.

 

Synopsis officiel : Après avoir détruit, dans une excès de fougue, la maison de son voisin Abe Turner, en périphérie de Houston, Kris, une forte tête de 14 ans, va probablement marcher dans les pas de sa mère et se retrouver en prison. Abe, un ancien monteur de taureau qui gagne sa vie en travaillant sur les circuits de rodéo chaque semaine, vit le quotidien de tout homme vieillissant. Lui et Kris sont tous les deux à un carrefour de leur vie. Un lien unique va les rapprocher et ils vont tenter de changer et de se connaître mieux avant qu’il ne soit trop tard pour chacun d’eux.

Le regard féminin sur l’Amérique des Heartlands, fondamentalement liée à la nature, a nourri le cinéma américain récent de films majestueux. On pense évidemment à THE RIDER de Chloé Zhao, à NEVADA de Laure de Clermont-Tonnerre et maintenant à BULL d’Annie Silverstein. Elles ont en commun de traiter les personnages, les animaux et les paysages à égalité, sans débauche d’intrigue, et avec le souci de capturer quelque chose de ce pays sauvage, balayé de vents contraires. La grande émotivité qui tourbillonne dans une grande violence. Et les histoires sont bouleversantes, si tant est qu’on s’abandonne à un cinéma sans artifice mais dont l’œil déterminé pourrait capter pendant des heures des visages fermés par le chagrin et rongés de colère.
Ici, Annie Silverstein filme Rob Morgan, character actor vu partout depuis des années, et récemment surtout sur Netflix, qui l’adore. Impressionnant dans MUDBOUND, toujours parfait dans les séries du Marvel Netflix Universe où il joue Turk Barrett, encore là, solide et indispensable, dans STRANGER THINGS ou dans GODLESS… Ses traits durs et son regard perçant, il les prête dans BULL à Abe, bull-rider retraité devenu clown de rodéo le week-end. Il habite un mobile home avec ses poules, à côté de chez Crystal, graine de délinquante qui pourrait bien finir derrière les barreaux, comme sa mère. Elle vient de vandaliser sa maison et Abe consent à lui donner une dernière chance pour peu qu’elle répare ce qu’elle a cassé et qu’elle lui serve de larbin quand il se rend aux entraînements, pendant deux ou trois jours. Cette adolescente, imperméable et indomptable, qui s’ennuie de sa mère, trouve en Abe une nouvelle forme d’autorité qu’elle respecte. Plus tard, elle voudrait monter des taureaux et Abe pourrait éventuellement lui apprendre. La facilité du cinéma indépendant américain qui lorgne vers le feel good aurait été de filmer de longues conversations sur les désœuvrements respectifs de ces deux êtres que tout oppose. Lui vieux et noir, elle jeune et légèrement white trash sur les bords. Mais BULL n’est jamais simple et préfère la complexité du réel aux artifices plus vendeurs. Annie Silverstein vient du documentaire : avec sa caméra portée et son réalisme absolu, elle s’intéresse à l’extraordinaire dans le banal. Dessinés par une écriture jamais spectaculaire, les deux personnages s’intéressent peu l’un à l’autre malgré leur lien évident, presque mystique. Et Crystal de trouver dans l’univers de Abe une rédemption dont elle a, hélas, déjà besoin à 14 ans.
C’est une mythologie américaine qui naît devant nos yeux : les cowboys afro-américains, au plus près des taureaux et des chevaux, sont rares sur grand écran. Le cinéma a toujours représenté les ranchs, les rodéos et la culture rurale comme blanche. Mais Annie Silverstein décale toujours son regard pour peindre de manière plus authentique des territoires inexplorés par les films. Elle aurait pu trousser un long-métrage typique de Sundance, et même un temps, on y a cru : les rednecks camés à l’oxy, le système judiciaire sans mégotage, les pitbulls tueurs de poulets… Mais dès que le film semble vouloir se repaître de son propre cliché, la réalisatrice le remet sur le droit chemin. Pas question de sacrifier ses deux personnages sur l’autel de la carte postale texane et des grands discours. Quitte à devenir un peu trop mystérieuse sur la fin, Annie Silverstein offre à son cow-boy et à sa cow-girl la plus sincère et exclusive des amitiés.

D’Annie Silverstein. Avec Rob Morgan, Amber Havard, Yolonda Ross. États-Unis. 1h45. Prochainement

 

 

 

 

 

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