Cannes 2019 : CHAMBRE 212 / Critique

20-05-2019 - 19:37 - Par

Cannes 2019 : CHAMBRE 212

De Christophe Honoré. Sélection officielle, Un Certain Regard.

 

Synopsis officiel : Après 20 ans de mariage, Maria décide de quitter le domicile conjugal. Une nuit, elle part s’installer dans la chambre 212 de l’hôtel d’en face. De là, Maria a une vue plongeante sur son appartement, son mari, son mariage. Elle se demande si elle a pris la bonne décision. Bien des personnages de sa vie ont une idée sur la question, et ils comptent le lui faire savoir.

 

Voilà un drôle de film. Magique et lumineux comme peut l’être un pur film de cinéma, joyeux comme une récréation, émouvant et juste comme la confession d’un ami. Un film constamment inattendu qui feint la légèreté fantaisiste pour mieux nous choper au cœur. Surtout, une œuvre jubilatoire où spectateurs, comédiens et réalisateurs semblent s’amuser de concert d’un même élan. Honoré joue ici avec les codes du vaudeville, ouvre grand les portes du cinéma de chambre pour y faire entrer un grand vent de frais. Ça démarre en trombe avec une énergie folle. Géniale héroïne moderne, Chiara Mastroianni donne le ton du film dans une séquence liminaire qui déjoue les codes de la maîtresse dans le placard. On rit, on s’étonne. C’est moderne, efficace, malin, à l’image de ce personnage féminin libre, joyeux qui traverse Paris et la vie le regard au vent.

Versant comique et fantaisiste du sombre et déchirant NON MA FILLE TU N’IRAS PAS DANSER, CHAMBRE 212 questionne le droit à la frivolité avec un appétit et une gourmandise de cinéma contagieuse. Autopsie d’un couple, examen de conscience d’une amoureuse, le film entrecroise les temporalités et les identités avec fantaisie par le biais d’une folle nuit magique où celui qu’on aimait rencontre celui qu’il est devenu, où les amours de jeunesse viennent réclamer leur dû et où même un sosie de Charles Aznavour peut jouer le rôle de votre conscience. Sur le papier, ça sonne foutraque. À l’écran, c’est un délice. Parce qu’Honoré prend la fantaisie pour ce qu’elle est, un miroir dans lequel se regarder en face. Alors sa mise en scène, délicatement artificielle, naviguant entre les huis clos de studio et les décors réels, orchestre le ballet de son quatuor d’acteurs avec une maestria réjouissante. On prend un énorme plaisir à voir Benjamin Biolay jouer les patachons romantiques, à redécouvrir encore et encore Vincent Lacoste, parfait ici en souvenir de jeunesse désirable, à savourer la délicatesse comique et mélancolique de Camille Cottin et la modernité folle de Chiara Mastroianni. Tout ce beau monde se court après, s’engueule, disserte sur le couple et ses injonctions dans un improbable télescopage cinéphilique quelque part entre Woody Allen, Bertrand Blier, Michel Gondry et les quadrilles amoureux de Sacha Guitry. Un amour du texte et du théâtre couplé à celui du cinéma qui célèbre et invente un espace où, heureusement, on a encore le droit de ne pas être si sérieux.

En somme, un Honoré joyeux et joueur mais qui n’a rien perdu de la précision de son regard pour raconter nos bordels intérieurs. Emporté par son élan romanesque, le film retombe sur ses pattes avec une douceur déchirante. On retrouve là quelque chose de la beauté libre de DANS PARIS où, derrière l’hommage à la Nouvelle Vague, se cachait la douleur des disparus. Ici, derrière le vaudeville et la comédie, c’est la fin d’un amour, la fin du « faire semblant » que raconte Honoré. À l’image de son inspirante héroïne libre comme l’air, cette récréation était un adieu. Une façon de se dire au revoir, avec le sourire. Les vrais amoureux se doivent au moins ça.

De Christophe Honoré. De Chiara Mastroianni, Vincent Lacoste, Camille Cottin. France. 1h26. Sortie le 30 octobre

 

 

 

 

 

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