Cannes 2019 : LES HÉROS NE MEURENT JAMAIS / Critique

17-05-2019 - 10:43 - Par

Cannes 2019 : LES HÉROS NE MEURENT JAMAIS

De Aude Léa Rapin. Semaine de la Critique, Séance spéciale.

 

Synopsis officiel : Dans une rue de Paris, un inconnu croit reconnaitre en Joachim un soldat mort en Bosnie le 21 août 1983. Or, le 21 août 1983 est le jour même de la naissance de Joachim ! Troublé par la possibilité d’être la réincarnation de cet homme, il décide de partir pour Sarajevo avec ses amies Alice et Virginie. Dans ce pays hanté par les fantômes de la guerre, ils se lancent corps et âme sur les traces de la vie antérieure de Joachim.

Pourquoi le jeune cinéma français a-t-il à ce point peur de la fiction ? C’est la question que l’on se pose à l’issue de ce premier long-métrage symptomatique d’un certain système, hélas aujourd’hui un peu épuisé. Dans l’idée, Aude-Léa Rapin a de belles envies de cinéma. Elle convoque les fantômes, la réincarnation et les territoires désolés de la Bosnie et on a, au départ, plutôt envie de la suivre. Mais déjà, le dispositif formel nous éloigne un peu. Film sur un film, found footage auteur, LES HÉROS NE MEURENT JAMAIS fait un premier pas de côté en regardant sa fiction comme un sujet. Adèle Haenel joue les réalisatrices et la caméra prend le corps de Paul, le chef opérateur que l’on ne verra jamais. Ça coupe, ça parle à la caméra, ça multiplie les effets de mise en abyme mais pour quoi au juste ? Alors que l’enquête avance à la recherche du fantôme de Zoran, on se dit que le film va basculer dans le genre pur et questionner frontalement le devoir de mémoire par l’idée plutôt maline de la réincarnation. Mais déjà, le film s’égare, s’attarde sur des figures lambda pour raconter la guerre, le quotidien et on perd de vue notre sujet. On s’attarde sur des détails, on sent bien que la réalisatrice veut raconter l’état d’un pays survivant tout en y mêlant la cocasserie d’un tournage improvisé et l’inquiétude d’un héros troublé par le potentiel surnaturel de son existence. Même si l’ensemble est fragile, on se laisse plutôt happer, curieux de savoir où tout ça va aller. On espère que le film passe la vitesse supérieure et télescope ses différents tons par le romanesque. Hélas, le sempiternel surmoi auteur commence à prendre le dessus et Aude-Léa Rapin délaisse la fiction, délaisse le pouvoir mystérieux de son récit, la force du conte au profit d’un cinéma vérité. On a la sensation désagréable que le récit initial n’était en fait qu’un prétexte, un leurre. Les personnages deviennent alors des archétypes (la preneuse de son gaffeuse, le beau gosse torturé, la réalisatrice dans le doute) et le contexte bosniaque un décorum. Organique et inquiet à ses débuts, le film devient platement théorique. D’une fiction on est passés à une interrogation sur le pouvoir de la fiction. Tout ça lié de manière très artificielle par un chantage émotionnel sorti de nulle part. À partir de là, à partir du moment où le film se découvre, on reste sur le bord à regarder le scénario se défaire de toutes ses nuances et mystères. C’est d’autant plus décevant que la réalisatrice ose une très belle séquence finale, onirique et sensuelle, dont l’émotion est asséchée par l’intellectualisation du dispositif. On aurait aimé qu’elle ose, fasse confiance à la fiction, au genre, à la grâce évidente de son duo (face à Adèle Haenel, parfaite, révélation de Jonathan Couzinié, incarnation brute, subtile et séduisante), au pouvoir du cinéma tout simplement. Ramené au sol par son dispositif trop scolaire, le film rate la belle échappée rêveuse et inquiétante qu’il promettait.

De Aude Léa Rapin. Avec Adèle Haenel, Jonathan Couzinié, Antonia Buresi. France. 1h29. Prochainement

 

 

 

 

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