Cannes 2019 : ONCE UPON A TIME… IN HOLLYWOOD / Critique

21-05-2019 - 22:51 - Par

Cannes 2019 : ONCE UPON A TIME… IN HOLLYWOOD

De Quentin Tarantino. Sélection officielle, Compétition.

 

Synopsis officiel : Los Angeles, 1969. Tout est en train de changer. La star de télévision Rick Dalton (Leonardo DiCaprio) et le cascadeur Cliff Booth (Brad Pitt), sa doublure de longue date, poursuivent leurs carrières au sein d’une industrie qu’ils ne reconnaissent plus. Le neuvième film de l’auteur-réalisateur met en scène une vaste distribution et de multiples intrigues dans un hommage aux derniers moments de l’âge d’or d’Hollywood.

 

Quentin Tarantino n’a jamais caché sa peur de mal vieillir, son intention de raccrocher sa caméra au bout de dix films ou, au moins, avant de n’avoir plus rien à dire. Le problème ? Il ne sait que trop la puissance que revêt une image projetée sur un écran de cinéma, il ne connaît que trop le rush d’adrénaline qui traverse le corps d’un acteur, d’un réalisateur, d’un spectateur devant un plan parfait. Comment croire une seconde que ce dévoreur d’images puisse bien s’épuiser d’en créer ? Cette peur hante néanmoins ONCE UPON A TIME… IN HOLLYWOOD de bout en bout, la crainte d’un artiste de devenir inutile et dépassé. Et comment Tarantino la combat ? Par le fond. Par la forme. À chaque niveau de lecture du film et dans chaque image.

Rick Dalton (Leonardo DiCaprio), acteur en sérieuse phase de tocardisation, ancienne star d’une série télé qui a fait l’erreur de vouloir passer au cinéma, s’agite, pleure et rage de rester au niveau qui fut le sien. Flanqué de son cascadeur attitré, Cliff Booth (Brad Pitt), désormais son homme à tout faire, Dalton accumule les petits rôles dans les séries télé. Un jour, dans la maison voisine de la sienne s’installent Roman Polanski et Sharon Tate (Margot Robbie). Bientôt rôde la menace de Charles Manson et de sa « Famille ». ONCE UPON A TIME… IN HOLLYWOOD n’est sans doute pas le film attendu. Moins évidemment flamboyant qu’imaginé, peut-être plus digressif, le récit s’y expose lentement, trébuche avec sa voix-off hésitante à contredire les faits ou à les conter, il erre, se perd, quitte à refuser parfois consciemment tout souci d’efficacité. Tant mieux. Tarantino, qui avait dégraissé son style jusqu’à l’os dans le phénoménal LES HUIT SALOPARDS, parvient ici à un équilibre quasi parfait entre le p’tit malin génial de ses débuts, rigolard, post-moderne et référentiel, et le cinéaste inquiet jusqu’à la colère qu’il est plus récemment devenu.

S’ouvrant sur un élan fétichiste, multipliant les faux films dans le film et ainsi les changements de format, de grain, de colorimétrie, d’étalonnage, ONCE UPON A TIME… IN HOLLYWOOD se déploie tout d’abord comme un exercice d’exploration de la puissance pure de l’image de cinéma. Des fresques de James Dean ornent les murs, des posters s’infiltrent dans chaque plan et Tarantino filme Brad Pitt au volant de sa décapotable, de nuit, comme si le sort du monde en dépendait. Le cinéma est partout, aux sens propre et figuré. QT étire, étire, sans que le fil ne se casse, il filme, filme, filme encore, accumule les scènes et les digressions, sans que l’on sache où son récit ira, sans que l’on sache où lui-même veut nous emmener. Tout est imagerie, tout est iconisation permanente – la photographie de Robert Richardson, charnelle et discrètement stylisée, y est pour beaucoup.

Puis vient une subtile bascule, imprévisible, imperceptible, jamais soulignée ni même annoncée. Passée la somptueuse balade dans les rues de L.A. et dans les arcanes de Hollywood vient un très long segment central, véritable moelle du film et de son propos. En intercalant la journée de Rick sur le tournage d’une série western et celle de Cliff dans un ancien ranch, Tarantino déroule un western fictionnel et un autre bien réel, en plein L.A. Finis les changements de format, de grain, de couleur : toutes les images revêtent désormais la même esthétique. L’effet est saisissant : fiction et réalité finissent par se ressembler, au détail près que la seconde semble au final plus baisée et folle que la première. Et paradoxalement moins réelle : là où les cowboys de fiction de la série que tourne Rick nous parviennent à travers des interprétations naturalistes crédibles, la trame de Cliff met en scène un univers où tout semble décalé d’un pas de côté – Tarantino usant ici à la perfection de la géniale ‘laid-backness’ de Brad Pitt.

Une collision entre réel et fantasmes dans laquelle Tarantino trouve une de ses plus belles idées de cinéma : celui qui se croit has been devient un héros uniquement dans les yeux du spectateur. Une manière, pour le cinéaste, d’exorciser sa peur de devenir inutile et de se remettre lui-même entièrement entre les mains de son public, à nu. Il y a dix ans, il clamait dans INGLOURIOUS BASTERDS : « Ce pourrait bien être mon chef-d’œuvre. » Il semble ici nous laisser le choix et lâcher prise, contrôlant uniquement ce qu’il peut contrôler : son Art. « C’est pas du verbatim », lâche Cliff, sublime éloge d’un « réel à peu près » qui ne nie pas les horreurs du monde mais tente de les ridiculiser par le cinéma. Tarantino signe ici son film le plus sentimental et, par conséquent, le plus triste. Il filme à la fois la fin d’une ère et la possibilité d’un espoir, la potentielle fin d’une amitié et son immortalité. Comme souvent, les plus belles déclarations d’amour tentent de se cacher derrière l’ironie et la bravade. Mais derrière les grands éclats de rire de ONCE UPON A TIME… IN HOLLYWOOD, derrière sa durée homérique de 2h45, derrière sa folle ambition et sa virtuosité de chaque instant trône un film à fleur de peau, hanté par la peur de ne pas être à la hauteur et en lutte perpétuelle pour l’être. On n’avait jamais vu le cinéma de Tarantino si ouvertement bouleversant.

De Quentin Tarantino. Avec Brad Pitt, Leonardo DiCaprio, Margot Robbie. États-Unis. 2h45. Sortie le 14 août

 

 

 

 

 

 

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