Cannes 2019 : BACURAU / Critique

16-05-2019 - 06:34 - Par

Cannes 2019 : BACURAU

De Kleber Mendonça Filho et Juliano Dornelles. Sélection officielle, Compétition.

 

Synopsis officiel : Dans un futur proche… Le village de Bacurau dans le sertão brésilien fait le deuil de sa matriarche Carmelita qui s’est éteinte à 94 ans. Quelques jours plus tard, les habitants remarquent que Bacurau a disparu de la carte.

Dans le petit village brésilien de Bacurau qui donne son titre au film, trône l’école Joao Carpenteria. La référence n’échappera à personne, et se voit même appuyée par l’utilisation, dans la bande-son, d’un morceau composé par John Carpenter (« Night »). Kleber Mendonça Filho, co-réalisateur de BACURAU avec Juliano Dornelles, n’a jamais caché sa passion pour le cinéaste inquiet de NEW YORK 1997 et INVASION LOS ANGELES, ce maverick de Hollywood qui a exposé sans fard ses angoisses et colères politiques sur les tendances dictatoriales du système américain et/ou capitaliste. Alors oui, BACURAU s’affirme comme une charge politique, elle aussi. Une charge à peine voilée sur les relations entre Amérique du Sud et du Nord et sur la déliquescence du climat politique brésilien. Et si, comme souvent, le genre (ici le western, l’actioner, l’anticipation) agit comme vitrine attrayante puis vecteur du propos, Mendonça Filho et Dornelles s’en servent également comme d’un symbole de l’Amérique-même, de son hégémonie culturelle – à l’image de cette soucoupe volante de pacotille rappelant le cinéma des années 50 et qui, lorsqu’elle apparaît subitement dans une scène, ne trompe pas le vieil homme qui l’aperçoit. Oui, BACURAU est très énervé. Il aborde le problème de l’eau et de la marchandisation des biens de première nécessité ; il filme un homme politique décharger des centaines de livres sur le sol ; on nous parle de corruption, d’abrutissement des masses à base de suppositoires analgésiques et ce qui se cache derrière le pitch et la mystérieuse disparition du village de la carte est une lutte à mort entre les riches et les pauvres, des Américains et des Brésiliens, les monstres et les humains. BACURAU envoûte tout d’abord par la beauté de son exposition – un magnifique plan d’ouverture sur le sol étoilé de l’espace, illustré par une chanson pop brésilienne –, puis par la présentation des habitants de son village, des âmes fortes et graciles qui forment une communauté solaire où chacun a sa place, son rôle, où tout le monde partage et participe d’une gestion collective raisonnée et humaine. Alors que BACURAU naît de son étrangeté, capturée par une caméra sans détour, il perd sans doute de sa force évocatrice à mesure que Mendonça Filho et Dornelles dévoilent les tenants et les aboutissants de leur intrigue. « La prochaine fois que tu veux provoquer quelqu’un, évite les clichés idiots », aboie un personnage à un autre. On n’ira pas jusqu’à renvoyer la politesse au film même – il mérite bien mieux. Mais l’on ne pourra que regretter ses antagonistes interprétés approximativement – là où tous les villageois de Bacurau sont superbement campés –, la tendance parfois décevante du film au ricanement face à l’horreur qu’il filme et à la bêtise de ses méchants. La colère au cinéma est un art délicat. Elle doit être tranchée certes, mais aussi pleine et entière, quitte parfois à paraître excessive, pour éclater dans toute sa sincérité à l’écran. BACURAU, s’il va loin, se dilue néanmoins en tirant vers le passif-agressif et en admirant très visiblement sa propre malice. Une mise à distance qui tranche un peu étrangement avec ses intentions très frontales énoncées.

De Kleber Mendonça Filho et Juliano Dornelles. Avec Barbara Colen, Sonia Braga, Udo Kier. France / Brésil. 2h12. Sortie le 25 septembre.

 

 

 

 

 

 

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