Cannes 2019 : SORRY WE MISSED YOU / Critique

17-05-2019 - 20:23 - Par

Cannes 2019 : SORRY WE MISSED YOU

De Ken Loach. Sélection officielle, Compétition.

 

Synopsis officiel : Ricky, Abby et leurs deux enfants vivent à Newcastle. Leur famille est soudée et les parents travaillent dur. Alors qu’Abby travaille avec dévouement pour des personnes âgées à domicile, Ricky enchaîne les jobs mal payés ; ils réalisent que jamais ils ne pourront devenir indépendants ni propriétaires de leur maison. C’est maintenant ou jamais ! Une réelle opportunité semble leur être offerte par la révolution numérique : Abby vend alors sa voiture pour que Ricky puisse acheter une camionnette afin de devenir chauffeur-livreur à son compte. Mais les dérives de ce nouveau monde moderne auront des répercussions majeures sur toute la famille…

 

C’est dans la continuité parfaite de MOI, DANIEL BLAKE, Palme d’or 2016, que SORRY WE MISSED YOU nous arrive, remonté à bloc. Fini de rire. S’il y a trois ans, Ken Loach avait encore le sens de l’humour, élégance du désespoir, c’est terminé. Ce qui a changé depuis ? L’uberisation de la société, le miroir aux alouettes de l’auto-entreprenariat, la sous-traitance par les grosses entreprises de ses services à une nuée de particuliers, ravis d’être leur propre patron. Pas d’assurances optimales, pas de salaires fixes, pas de vacances… C’est tout un nouveau champ lexical qui s’est inventé avec ce nouveau business, et c’est ainsi que démarre le film : sur un laïus de termes abscons qui fait miroiter une liberté d’entreprendre et cache pourtant un « esclavage » moderne, déjà en marche.

Ricky Tuner va devenir livreur sous-traitant pour une grosse boîte qui achemine des colis – vous voyez le genre – commandés sur internet. Il investit dans une camionnette en vendant la voiture familiale – celle que sa femme, aide à domicile, utilisait pour travailler – et mise tout sur ce nouvel Eldorado. Mais naviguer dans ce terrain capitaliste flambant neuf requiert des nerfs d’acier. Le moindre pépin peut coûter cher. La pression, la fatigue vont user Ricky et se répercuter sur la vie de chacun des membres de sa jolie petite famille. Pire, être devenu un forçat du libéralisme ne l’aide pas à gagner le respect de son ado de fiston. Rebelle, certainement nihiliste comme tous les ados un peu durs, Seb multiplie les conneries et veut quitter l’école. À quoi bon si c’est pour finir par travailler toute sa vie comme un con ?

Il a fallu un petit quart d’heure pour que SORRY WE MISSED YOU nous attrape. On a trouvé que ça jouait un peu faux – le revers de la quête d’authenticité par les acteurs amateurs – et que c’était beaucoup plus didactique que MOI, DANIEL BLAKE, film plus bonhomme et plus aimable. Il faut un temps d’adaptation, c’est tout, une phase d’immersion pour comprendre que Ken Loach va ronger la tragédie moderne à l’os, mettre ses personnages à l’épreuve de la chienne de vie sans aucune respiration. Plus le film se durcit, plus ses comédiens crèvent le cœur. L’octogénaire énervé va finalement nous cueillir grâce à cette famille bouleversante, qui se dissout puis se ressoude au gré des pépins et des drames. Frisant parfois le pathos mais toujours sauvé par son évidente honnêteté et sa dévorante colère, Ken Loach reste digne mais réaliste. Il n’a aucune réponse, et termine son film en s’interrogeant sur la finalité du travail quand il devient dangereux pour la santé.

De Ken Loach. Avec Kris Hitchen, Debbie Honeywood, Rhys Stone. Grande-Bretagne. 1h40. Prochainement

 

 

 

 

Pub
 
 

Les commentaires sont fermés.