Cannes 2019 : LES PARTICULES / Critique

22-05-2019 - 15:53 - Par

Cannes 2019 : LES PARTICULES

De Blaise Harrison. Quinzaine des Réalisateurs.

 

Synopsis officiel : Pays de Gex, frontière franco-suisse. P.A. et sa bande vivent leur dernière année au lycée. À 100 mètres sous leurs pieds, le LHC, l’accélérateur de particules le plus puissant du monde, provoque des collisions de protons pour recréer les conditions d’énergie du big bang, et détecter des particules inconnues à ce jour. Tandis que l’hiver s’installe et que P.A. voit le monde changer autour de lui, il commence à observer des phénomènes étranges, des modifications dans l’environnement, de façon imperceptible d’abord, puis c’est tout son monde qui semble basculer…

 

Au cœur de toute dramaturgie réside la confrontation d’un personnage à un obstacle, littéral et/ou existentiel, à un bouleversement. À ce titre, l’adolescence apparaît comme une dramaturgie en elle-même : âge de tous les possibles, de toutes les incertitudes aussi, en elle coexistent de profonds sentiments d’invincibilité et de vulnérabilité. C’est ce que capte très joliment la caméra de Blaise Harrison dans son premier film de fiction, LES PARTICULES. De son ouverture en drone au-dessus d’un bus scolaire aux plans quasi documentaristes qu’il capte à la grille du lycée ou à la cantine, le cinéaste place LES PARTICULES en suspension. Une sensation un peu abstraite qui traverse le spectateur et qui relaie à merveille cette période de la vie où l’on se sent invisible, où la gêne surgit dans chaque relation et chaque parole, où drôlerie et maladresse vont souvent de pair, où les relations de groupes, même amicaux, se déclinent sur un mode hiérarchique d’une violence sourde. Et surtout, une période où rien n’est encore décidé mais où le monde, aussi routinier soit-il, écrase chaque ado pour qu’il choisisse, qu’il se définisse, qu’il prenne un chemin pour l’avenir. Tout est possible. Ou presque. Ou pas. Et tout ça, Blaise Harrison, sous l’influence patente de Gus Van Sant – la manière de filmer les visages et les mouvements d’un corps dans les couloirs ou d’un vélo sur une route – mais aussi de Larry Clark – la concupiscence irraisonnée et la brutalité qu’elle exprime –, le saisit à merveille, sans que sa mécanique n’apparaisse forcée. Mais son plus grand talent réside ailleurs. Car Harrison ne verse pas uniquement dans le reflet du réel et c’est là que LES PARTICULES prend de la hauteur : dans l’incursion du fantastique. Ici, le sol respire. Là, un nuage d’oiseau ne semble pas suivre des schémas naturels. Un rongeur disparaît en pleine course dans un champ. C’est que les ados des PARTICULES vivent à la frontière franco-suisse, sur une terre dont les sous-sols abritent le super accélérateur de particules du CERN. Un appareil de SF métaphysique qui agit évidemment comme vecteur d’allégorie – l’adolescence comme accélération de l’existence et la création d’un nouveau monde, l’âge adulte. Mais Harrison a la malice de ne pas se satisfaire du symbole, de ne pas tout miser sur lui, et de conserver un flou tenace sur la teneur de ses images. D’un côté, il insuffle de l’étrange à des plans réels et quotidiens (des lumières rouges fantasmatiques de phares inondant une image lors d’une scène nocturne, par exemple) et de l’autre, il ose le trip psychédélique aux connotations fantastiques. Voire les images semblant sortir d’un film d’horreur de Kiyoshi Kurosawa – un terrible plan issu de Google Street View. Dans cette ambiance lourde et menaçante, profondément triste et inquiète, LES PARTICULES revêt presque les atours d’un DONNIE DARKO normcore. Un amalgame particulièrement réussi de réel et d’étrange qui laisse le spectateur à ses questions et à ses propres réponses. Une réussite.

De Blaise Harrison. Avec Emma Josserand, Léo Couilfort, Néa Lueders, Nicolas Marcant. France / Suisse. 1h38. Sortie le 5 juin

 

 

 

 

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