Cannes 2019 : PORT AUTHORITY / Critique

18-05-2019 - 10:06 - Par

Cannes 2019 : PORT AUTHORITY

De Danielle Lessovitz. Sélection officielle, Un Certain Regard.

 

Synopsis : Paul débarque à Port Authority, une gare routière à New York, attendant d’être récupéré par sa cousine Janet. Alors qu’il l’attend, il observe une magnifique jeune femme transsexuelle, Wye, alors qu’elle vogue avec sa ‘famille de balls’ devant chez elle. Mais sa cousine n’arrive jamais et Paul projeté seul dans la ville. Un événement violent l’amène à devenir ami avec Sway, un gamin de la rue, qui lui offre l’une des rares places vacantes d’une auberge de jeunesse. En échange, Paul doit accepter des petits jobs illégaux, expulsant les mauvais payeurs de leurs HLM. L’une de ses missions le ramène là où il a vu Wye pour la première fois…

 

Trente ans après que Madonna a susurré « Vogue » à l’oreille de la culture mainstream, la série POSE de Ryan Murphy a re-popularisé le voguing et les bals, et propulsé des actrices transsexuelles reines du petit écran, bouleversant un statu quo de représentation. A côté de ce mastodonte de l’entertainment américain, acclamé par la presse, PORT AUTHORITY ferait presque office de repasse, en version cinéma indépendant – s’il n’était pas une splendeur esthétique en plus d’être une épopée sentimentale déchirante. Love story en milieu LGBTQ à New York, au sein des « balls » et des « maisons », il s’agit aussi de la première fois qu’une comedienne transsexuelle est invitée en sélection officielle à Cannes. Elle, c’est Leyna Bloom. Danseuse, mannequin et maintenant actrice – et pas des moindres. Rayonnante, puissante dans la peau de Wye, vogueuse star de la catégorie « visage », et dont Paul (Fionn Whitehead) tombe raide dingue. Il vient de débarquer à Manhattan par la gare routière de Port Authority et pense qu’il va habiter chez sa demi-sœur. Malheureusement, pour lui, et déjà à 20 ans, la famille est une déception perpétuelle… Dans cette ville trop grande, anonyme, il croise Wye, et ses « frères », est immédiatement fasciné par l’assurance et la force de ce groupe. À la rue, il est pourtant « recueilli » par une autre bande, moins solaire et moins solidaire, celle de Lee (McCaul Lombardi) faite de jeunes types paumés engagés pour déloger des locataires qui ne paient plus. La langue anglaise a totalement galvaudé le mot « brother », que des mecs sans aucune sorte d’amour les uns pour les autres se jettent en ponctuation, comme moyen d’extorquer le respect et la paix. Dans PORT AUTHORITY, les familles qu’on se choisit sont plus belles que celles qu’on s’impose. Si plusieurs conceptions du groupe et du sentiment d’appartenance s’affrontent en continu, jalonnant un chemin de croix de terrible solitude pour Paul (un personnage si émouvant que sa simple présence à l’écran peut vous tirer des larmes), c’est autant de types d’hommes qu’on lui propose de devenir. La masculinité viriliste vs. la masculinité moderne. Le bellicisme vs. la bienveillance. L’accaparement de l’espace vs. sa réappropriation. La monocratie vs. le partage. L’amour, la passion, vont le mettre sur la voie. Lui, l’introverti, qui tient presque maladivement le monde à distance – sauf la caméra mariant intimité et grande pudeur de Danielle Lessovitz – va se laisser toucher par une femme, une communauté, ses codes, sa bouleversante complicité et sa manière si singulière d’exister. Jamais filmée comme un spectacle, ni par aucun prisme voyeuriste, exotique ou anthropologique – à peine sociologique -, la culture des bals (imposée et revendiquée sans faire de présentation) sert de toile de fond à cette histoire d’amour moderne où caméra et personnages ne voient bien qu’avec le cœur. La vieille garde masculiniste et homophobe, elle, est aveugle à toute sorte d’émotion. PORT AUTHORITY n’est pas le premier film à réunir ceux qui se sentent seuls et à célébrer la beauté de la différence. Mais rares – pas même Ryan Murphy – sont ceux qui s’astreignent à un romantisme si absolu et à un romanesque aussi entier.

De Danielle Lessovitz. Avec Fionn Whitehead, Leyna Bloom, McCaul Lombardi. États-Unis. 1h34. Prochainement

 

 

 

 

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