PARASITE : chronique

05-06-2019 - 08:59 - Par

PARASITE : chronique

Bong Joon Ho réorchestre la lutte des classes en huis clos. Un film total, qui confine à la perfection. Palme d’Or, évidemment.

 

Dans TRANSPERCENEIGE, Bong Joon Ho avait filmé la révolution à l’horizontale, dans une course folle, droit devant vers la justice. Dans un nouvel exercice de mise en scène politique, c’est à la verticalité sociale qu’il s’en prend. La famille de Ki-taek (Song Kang-ho) vit en entresol, dans une drôle de rabouillère biscornue, les fenêtres à ras de plafond. Et c’est donc à ras du bitume que tous assis dans la cuisine, ils observent leur quartier un peu pourri et les ivrognes qui pissent à leurs carreaux. Au chômage, malins en diable et bourrés de talent chacun dans son domaine – l’abus de confiance, l’extorsion, le mensonge, la contrefaçon –, ils vont doucement s’incruster chez les Park, famille très riche et dans le besoin presque maladif de s’entourer d’employés. L’un va donner des cours d’anglais à l’aînée, l’autre prodiguer des cours d’art-thérapie bidonnés au petit et Ki-taek et son épouse finiront bien aussi par se rendre indispensables. C’est le but de ce home-invasion movie silencieux et sans effusion : organiser la rencontre de deux classes qui n’auraient pas dû se rencontrer et observer comment tout ça va se terminer. Dans cette maison d’architecte dont les baies vitrées offrent des vues sans horizon, personne n’entendra les riches et les pauvres s’écharper. Le film distille une ironie mordante : les uns sont d’une bêtise à pleurer, méprisants. Les autres ont une morale douteuse, ils sont bouffis de jalousie. Maîtrisant totalement l’espace, Bong Joon Ho va chorégraphier un drôle de ballet : la classe bourgeoise brasse du vent et s’agite autour d’une classe pauvre qu’elle voit à peine, pendant que cette dernière, aux gestes précis, manigance en échappant au regard des riches. C’est d’une précision de mise en scène qui ferait pâlir Hitchcock. 

D’abord, PARASITE ricane du snobisme et persifle la convoitise, renvoyant dos à dos la médiocrité de chacun. Bong Joon Ho n’est pas homme de constat ; via ses films, il conjecture de possibles issues. Quand il décide, avec son scénario impitoyable, que les deux familles vont enfin se percuter, c’est au flair que ça va se passer. Les riches, inodores, incolores, insipides (à en croire le réalisateur, qui ne s’est jamais intéressé à la bourgeoisie) ont une manière très personnelle de reconnaître les pauvres. C’est là que Ki-taek, déconfit, va plonger dans une tragédie qui transforme totalement le film. Song Kang-ho, peut-être l’un des meilleurs acteurs au monde, n’a pas besoin de mots pour transmettre à l’image la violence de l’humiliation. C’est le premier déclic du film pour passer, comme une bête en constante mutation, de petite farce chabrolienne écrite à la perfection à film d’horreur domestique tendance massacre social – on y a vu le US de Jordan Peele en version moins cérébrale, moins conceptuelle et beaucoup plus viscérale, plus entière. PARASITE ne tarit jamais de surprises, ni de détails (visuels, dialogués) éloquents – et souvent assassins – sur l’imperméabilité des classes. La tristesse et la colère chevillées au corps, Bong Joon Ho redouble d’humour (la politesse du désespoir) et de violence pour nous jeter au visage l’absurdité de ce monde. Être si humain, si universel, avec un film d’intérieur comme un huis clos, c’est toucher du doigt le pouvoir absolu du cinéma.

De Bong Joon Ho. Avec Song Kang-ho, Cho Yeo-jeong, Park So-dam. Corée du Sud. 2h12. Sortie le 5 juin

5EtoilesRouges

 

 

 

 

Pub
 
 

Les commentaires sont fermés.