ZOMBI CHILD : chronique

12-06-2019 - 09:02 - Par

ZOMBI CHILD : chronique

À cheval entre Haïti et la France, Bertrand Bonello convoque les fantômes de l’Histoire pour un film résolument politique.

 

Avec ZOMBI CHILD, Bonello fait ce que les États-Unis font régulièrement, mais la France beaucoup moins : étudier les conséquences des horreurs sur lesquelles le pays s’est fièrement bâti. Le cinéma français va rarement demander des comptes à son passé. Bonello, lui, va fureter deux cents ans en arrière, quand Napoléon voulut restaurer l’esclavage en Haïti et pour ce faire, fit arrêter Toussaint Louverture. Une période jamais explicitement citée par Bonello, qui cache sous le film de genre toute sa signification politique. « La France porte le crime d’avoir voulu libérer le monde », inculque un professeur d’Histoire à ses étudiantes… Dans un lycée réservé aux filles de personnes médaillées par la France, Fanny fait la connaissance de la jeune Haïtienne Mélissa – dont la mère avait combattu la dictature Duvalier –, qui habite désormais avec sa tante. On y donne des cours sur l’achèvement napoléonien de la Révolution – l’art de la poursuivre et la trahir –, on exige des élèves d’être à la hauteur des élites, à la hauteur de la grandeur française, de ses fameuses valeurs. En Haïti, en 1962, Clairvius Narcisse est empoisonné par un sorcier. Enterré vivant, il est exhumé à l’état de zombi et réduit en esclavage par des cultivateurs de canne à sucre. Face à une France qui ne cesse de ressusciter ses morts pour les adorer, Haïti vit, elle, parmi les morts au quotidien. Bonello fait dialoguer en permanence le modèle français – républicain, d’excellence – et son passé beaucoup moins reluisant de domination. Il faut voir la petite Fanny (Louise Labeque, un faux air délicieux de Thora Birch) exiger d’une mambo (qui assure le lien entre les vivants et les morts) qu’elle répare par la sorcellerie le lien brisé entre elle et son petit ami pour cerner le procès qu’intente Bonello à l’ignorance et la suffisance d’une France romantique, romanesque et terriblement capricieuse. Pourtant, c’est sûrement cette génération-là, d’origines mélangées, qui réconciliera des territoires au passé douloureux, grâce aux idoles communes (les fausses idoles de la consommation, les vraies, artistiques, comme Damso ou Kalash), au goût de la poésie ancienne (la belle littérature ou les textes traditionnels) et moderne (le rap) et au plaisir de se faire peur (avec le cinéma d’horreur en consensus ultime). Bonello parvient à marier le mystique et le surnaturel au contemporain et au trivial, avec un film qui, à l’instar d’un de ses dialogues les plus consciemment sous-écrits, tangue entre « le chelou et le cool ». ZOMBI CHILD, sorte de teen movie sous « l’emprise des ténèbres », convoque Lynch et Wes Craven comme une seconde nature. On croirait au film le moins formel de Bonello, mais il a cette précision désinvolte qui en fait d’abord une œuvre assez humble. Son regard curieux sur son pays et sur sa jeunesse lui donne toute sa singularité. 

De Bertrand Bonello. Avec Louise Labeque, Wislanda Louimat. France/Haïti. 1h43. Sortie le 12 juin

4Etoiles

 

 

 

 

Pub
 
 

Les commentaires sont fermés.