AD ASTRA : chronique

18-09-2019 - 11:11 - Par

AD ASTRA : chronique

L’exploration spatiale comme introspection : d’AD ASTRA émane une tristesse qui ne demande qu’à s’apaiser. Sublime et unique.

 

Plus de quinze ans après la disparition de son père aux confins du système solaire lors d’une mission, Roy McBride (Brad Pitt) apprend qu’il est peut-être encore en vie. L’astronaute part à sa recherche… « Il faut vouloir saisir plus qu’on ne peut étreindre. Sinon, pourquoi le Ciel ? » écrivait Robert Browning dans un poème cité dans THE LOST CITY OF Z. L’exploration de l’inconnu, les frontières que l’on aspire à repousser afin d’étendre le champ des possibles, l’explosion du cocon familial dans cette obsession : à bien des égards, AD ASTRA résonne comme un écho de THE LOST CITY OF Z. Pourtant, les deux films discutent et se complètent plus qu’ils ne se ressemblent. « Une des raisons pour lesquelles les Beatles sont à juste titre des légendes, nous disait James Gray en 2017, c’est qu’ils ont étendu leur répertoire de manière stupéfiante. » Le cinéaste n’a de cesse, tel Percy Fawcett ou Roy McBride s’aventurant dans la jungle ou l’espace, de repousser les limites de son art. La comparaison avec les Beatles, aussi incongrue soit-elle, apparaît particulièrement adéquate sur AD ASTRA, tant le cinéaste y insuffle une grande part d’expérimental.

Un choix audacieux pour une production de studio à budget conséquent, mais éloquent. Dans ce futur proche qu’on ne parvient à dater, on voyage dans l’espace comme aujourd’hui entre continents : l’extraordinaire et l’intangible ont envahi le quotidien. Alors James Gray hybride expérimental et mainstream, il insuffle de la SF à des images d’apparence réelle, quasi documentaires. Il bouscule les temporalités et juxtapose le flashback, le présent et le commentaire de celui-ci. Fait se chevaucher des dialogues et une voix off expliquant en temps réel ce qui se déroule à l’écran. Il accumule les images iconiques, les moments de bravoure (la poursuite lunaire !) mais baigne AD ASTRA dans un mixage souvent bas, un silence comme un cri, dont émerge une majesté écrasante. Une mécanique anti-spectaculaire dont les résonances intimes s’avèrent pourtant d’une implacable ampleur. Rares sont les films qui, comme AD ASTRA, inventent leur langage. James Gray le fait et crée le trouble, donne naissance à un monde déroutant d’abstraction mais palpable car dérivé du nôtre – jusqu’à ses problèmes et ses guerres, récurrences des nôtres. Cet univers, dont la richesse est nourrie à chaque instant, parfois par de simples détails dans les décors ou des sons de journaux télévisés à peine audibles, dessine les contours d’une expérience de cinéma toute en intériorité, celle du spectateur et celle du personnage central, Roy McBride, comme si James Gray nous propulsait dans la tête et le soliloque de son héros. À ses côtés. Un protagoniste atypique dans la carrière de Brad Pitt (qui démontre à nouveau son élégance après ONCE UPON A TIME… IN HOLLYWOOD), un héros taiseux, rongé par l’affliction, triste à en pleurer, d’un calme dissimulant un désir contrarié d’accomplissement émotionnel.

Car, dans AD ASTRA, il advient de la SF d’exploration spatiale ce qu’il advient toujours du genre chez James Gray : utilisé pour entretenir et subvertir les attentes du public, il alimente avant tout une étude humaine du cercle familial. « Papa, j’aimerais te revoir », dit Roy dans un message radio lancé à travers l’espace, lors d’une scène d’une bouleversante inertie. Qu’il dépeigne le fardeau que font peser les erreurs des pères, qu’il décortique les mécaniques du deuil ou qu’il exalte l’immortalité procurée par le lien humain, AD ASTRA, au contraire de THE LOST CITY OF Z, opère un voyage vers le monde et l’altérité. Une épopée des sentiments exposée avec une retenue terrassante. Un très grand film d’un des cinéastes les plus précieux de notre époque.

De James Gray. Avec Brad Pitt, Tommy Lee Jones, Ruth Negga, Liv Tyler, Donald Sutherland. États-Unis. 2h04

5EtoilesRouges

 

 

 

 

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