LE MANS 66 : chronique

12-11-2019 - 15:57 - Par

LE MANS 66 : chronique

Apologie des francs-tireurs dans une industrie normée, LE MANS 66 offre une métaphore sur Hollywood et, par là même, s’impose en geste de cinéma. Un pur régal.

 

Une longue séquence du premier acte de LE MANS 66 suit des représentants de Ford proposant à Enzo Ferrari de racheter sa firme. Le but pour le géant américain ? Profiter du génie italien pour se lancer dans la course automobile, se refaire une image auprès des jeunes et, ainsi, booster ses ventes. Entre le tournage de cette scène et aujourd’hui, la Fox, productrice et distributrice du film, a été rachetée par Disney – major qui s’approprie les enseignes qui brillent là où elle peine. L’analogie relève de la coïncidence mais n’en demeure pas moins cocasse. Surtout, elle entérine l’idée qu’ici, même si James Mangold filme des bagnoles, leurs ingénieurs et leurs pilotes, il le fait pour parler également d’autres choses : de Hollywood et de lui-même. LE MANS 66 confronte deux philosophies difficiles, mais pas toujours impossibles, à concilier dans un monde capitaliste de rentabilité : la qualité face à la quantité, le rêve face au pragmatisme, le panache face au conformisme, l’individu face aux comités, l’art face à l’industrie. C’est ce à quoi se heurtent Carroll Shelby (Matt Damon, à la distinction inaltérable), ancien gagnant des 24 Heures du Mans et constructeur, et son ami pilote Ken Miles (Christian Bale, dont la férocité bouillonnante réjouit autant qu’elle émeut), francs-tireurs chargés par Ford, dans les 60’s, d’inventer la voiture de course la plus rapide du monde. Mangold, cinéaste dont tous les films ou presque sont des westerns littéraux ou déguisés, organise donc un duel dont les enjeux et les répercussions n’ont jamais pour but de portraiturer la grandeur et le triomphe de l’Amérique, mais la difficulté pour l’individu, dans toute sa personnalité et son identité, à trouver sa place dans le système et à s’y épanouir. Lui qui avait démontré avec LOGAN que le film de super-héros de studio n’avait pas à abdiquer devant les prérogatives industrielles, opère avec LE MANS 66 un véritable geste de cinéma. Si elle ne manque jamais de virtuosité dans ses séquences automobiles, la mise en scène, comme toujours chez Mangold, préfère l’élégance d’un certain classicisme à la frime tapageuse. L’écriture, elle, insuffle foule de nuances à ses personnages et à son propos – la figure complexe de Henry Ford II –, menant le récit vers quelques sommets de mélancolie, voire de franche tristesse, toujours avec grâce et dignité. Dans sa facture et ses intentions, LE MANS 66 se rapproche du PONT DES ESPIONS : on entre en ce film comme dans un classique de l’âge d’or que l’on ne connaîtrait pas encore et on se laisse emporter, chacune de ses 153 minutes filant à toute blinde.

De James Mangold. Avec Christian Bale, Matt Damon, Tracy Letts. États-Unis. 2h33. Sortie le 13 novembre

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