UNCUT GEMS : chronique

28-01-2020 - 14:53 - Par

UNCUT GEMS : chronique

Malaimable, éreintant, bruyant, malaisant… Le nouveau film des frères Safdie est une prise d’otage artistique qui relève du génie. Et manifeste d’une maîtrise du cinéma étourdissante.

 

Darius Khondji conseille de voir UNCUT GEMS deux fois. A priori, on ne saurait en dire autant. L’expérience a été spéciale. La caméra plantée dans le quartier des diamants à New York, le film n’est que logorrhées grossières, négociations, discours de persuasion. Le bruit de la ville est assourdissant. Les menaces fusent. Des coups de gueule retentissent. Des cris. Des coups. Tout est antipathique. Compliqué. Dangereux. Il n’y a rien de souriant dans le commerce du solitaire ; c’est une communauté obligée de cohabiter par la force de l’argent. Et puis, Howard Ratner (Adam Sandler), quel gus. En plus d’être un joailler margoulin, c’est un joueur invétéré. Il a des gangsters aux fesses, des usuriers. Mais ce loser croit que sa chance va tourner. Il a la baraka depuis qu’il a acquis une pierre précieuse en direct d’Afrique. Il va en tirer un sacré pactole aux enchères. Alors pourquoi la prêter, sans grande garantie, au champion de basket Kevin Garnett ? C’est risqué. Mais sa dernière coloscopie est bonne, donc autant conjurer le sort une fois de plus… UNCUT GEMS part des gisements d’Ethiopie, de l’excavation d’un caillou d’une pureté rare. La caméra pénètre dans le cristal et magie des Safdie oblige, arrive directement dans le cul d’Howard. Tout y est : ce n’est pas du cinéma confort que les frères new-yorkais vont nous proposer. Le pacte entre eux et nous est scellé. Nous sommes partis pour un voyage à la vie à la mort au plus près d’un des grands personnages de ce début de siècle : Howard Ratner, habité par le talent zinzin d’Adam Sandler, son visage toujours tordu par un rictus pathétique.

Écrit avec des vices, des vertus et des fringues d’un autre âge, Howard trimballe sa connerie, sa naïveté et son instinct pour le business dans un New York digne des 70’s que des références pop précises – les matchs gagnés ou perdus de Kevin Garnett, la popularité grandissante du chanteur The Weeknd jouant dans les clubs branchés de la côte Est – viennent rappeler à aujourd’hui (en fait, l’année 2012). Avec la désinvolture du Nouvel Hollywood, les Safdie font un cinéma à l’ancienne, étude rigoureuse de personnage autant que d’un microcosme impénétrable, aux règles et au lexique caractéristiques. Le rythme est frénétique, on court après ces types qui ont toujours un coup d’avance sur nous. On est un peu voyeurs – la faute à ces longues focales et ces zooms flamboyants jouant sans cesse sur la distance à laquelle on nous tient. Les gros plans, nombreux, sur de vraies gueules de cinéma (le visage d’Eric Bogosian, de près, c’est une poésie) nous incitent à lire entre les lignes et aller au-delà du vacarme. Derrière la façade convulsive et outrée de UNCUT GEMS, la photographie de Darius Khondji révèle une mélancolie et une solitude très new-yorkaises, convoquant Ferrara ou Schatzberg… Et au-delà de la virevoltante facilité avec laquelle les Safdie racontent leur histoire, comme une fable évidente et rusée, on remarque forcément le tour de force : les nuits sont des nuits de cinéma, les lumières y révèlent le grain chaleureux de la pellicule. La vulgarité d’Howard – et son déjà légendaire Furby en gemmes tape-à-l’œil – se diffuse un peu partout dans le film, tout à son image : dans sa bijouterie sur-éclairée, dans les clubs déjà datés, dans ses lunettes et sa garçonnière de nouveau riche. Howard est inépuisable. Même le nez défoncé par les gnons, même honni de tous, il continue d’y croire. Et peut-être a-t-il raison. On l’a bien suivi à la vie à la mort, nous. À peine UNCUT GEMS terminé, force est d’avouer que Darius Khondji avait raison : finalement, on repartirait bien pour un tour.

De Josh et Benny Safdie. Avec Adam Sandler, Kevin Garnett, Lakeith Stanfield, Idina Menzel, Eric Bogosian, The Weeknd. États-Unis. 2h15. Sur Netflix le 31 janvier

5EtoilesRouges

 

 

 

 

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