Shutter Island : chronique

24-02-2010 - 16:50 - Par

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Où comment Scorsese met son style typique et quelques-uns de ses thèmes fétiches au service d’un polar parfait signé Dennis Lehane.

SHUTTER ISLAND n’est pas le meilleur Scorsese (il est derrière nous, pour sûr). En revanche, il est de ces morceaux de cinéma imparables. D’abord parce que le matériau original signé Dennis Lehane était autant un page-turner frénétique digne des plus grands bestsellers, qu’une plongée subtile et diablement bien tournée dans la folie de quelques hommes. Située en pleine guerre froide, en 1954, alors que l’Amérique est piégée entre les fantômes des agissements nazis et la peur d’un communisme infiltré, SHUTTER ISLAND plante son décor dans une île dédiée à la cure des malades mentaux. Deux marshals, Teddy Daniels, veuf et vétéran de la Deuxième guerre mondiale (DiCaprio), et Chuck Aule, fraîchement muté de Seattle (Mark Ruffalo), débarquent dans cet asile de fous pour enquêter sur la disparition d’une patiente infanticide. Devant le peu de transparence du personnel hospitalier, ils jalonneront leur simple enquête d’investigations sur les méthodes médicales employées par les psychiatres, l’affaire s’avérant plus personnelle qu’elle n’y paraît pour le marshal Daniels.

ShutterPosterL’atout numéro 1 de SHUTTER ISLAND, c’est son décor. Il est rare d’être happé à ce point par un lieu, aussi cinématographique soit-il, au point d’affirmer qu’il est le «personnage central» du film. Mais si le pouvoir d’envoûtement de ce bout d’île et de son ancien complexe militaire transformé en asile pour déments foutait déjà la chair de poule sur papier, devant la caméra de Scorsese, SHUTTER ISLAND est tel un tableau de maître qui étalerait en cinémascope un vieux château et son personnel de maison consanguin, cernés par des corbeaux, au-dessus desquels les nuages dessineraient des présages du malheur. Un truc à vous mortifier. Balayé par une pluie battante et un vent infernal, chaque plan est lesté par un drame imminent et une gravité irrationnelle, funambulant entre le thriller et le film d’horreur. L’histoire elle-même démarrant comme une enquête classique, dévie de manière vicieuse vers un intense polar psychologique, brassant la médecine expérimentale, le portrait d’une époque et le drame intimiste et familial. Scorsese, lui, en tire un récit viscéral, l’œil braqué sur les moindres faits et gestes d’un DiCaprio qui souffre pour trop de raisons. Et il est assez génial ce Léo-là, quand toute ride du lion surgonflée, il oscille entre un jeu investi et un investissement surjoué. Il n’y a que chez Scorsese qu’on lui permet de flirter dangereusement avec le mauvais goût, car le réalisateur lui-même danse parfois trop près de lui. D’incrustations trop évidentes de gros nuages noirs, aux plans rapprochés sur des rats grouillants (les rats et Scorsese, toute une histoire), en passant par les pano de caméra hyper-rapides qui exhibent la mise en scène et le jeu sur le fil d’un Mark Ruffalo qu’on a vu meilleur ailleurs, SHUTTER ISLAND n’est pas que de bon goût et c’est de toute façon ce qu’on attend du réalisateur. À ShutterPic3l’occasion de LOVELY BONES, on assumait notre penchant pour les écarts cheap des grands génies du cinéma, on ne saurait les désavouer maintenant. Scorsese est peut-être de bout en bout possédé par Hitchcock (musique, plans, lumière), il n’en produit pas moins un film à lui, hanté des NERFS À VIFS comme d’AVIATOR, basé sur une histoire plus tordue que d’habitude sûrement, mais toujours sur les images fortes qu’on connaît au cinéaste, sanguinolantes ou surdramatiques. Et c’est ce pouvoir de l’image qui transcende le roman initial. Non seulement tout ce qu’on avait imaginé en le lisant se concrétise à l’écran – le film est d’une fidélité parfaite au roman -, mais il donne plus que l’univers qu’on avait créé dans notre petite tête. Sa création a surpassé notre pouvoir d’imagination et c’était une gageure. Car même une petite ligne de dialogue rajoutée au dénouement de l’histoire initiale bouleverse le récit et lui ouvre un nouveau sens. Ça s’appelle de la finesse.

Shutter Island, de Martin Scorsese. USA. Avec Leonardo DiCaprio, Mark Ruffalo. 2h17. Sorti le 24 février.

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