Laisse-moi entrer : chronique

20-09-2010 - 20:20 - Par

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Les remakes américains sont-ils condamnés à massacrer et simplifier leurs modèles ? LES INFILTRES de Scorsese répondait par la négative, LAISSE-MOI ENTRER confirme.

Owen, fils de divorcés vivant seul avec sa mère a une vie de merde. Frêle, solitaire au point de friser l’autisme, sans amis, il subit chaque jour les assauts toujours plus violents des p’tits cons de son école, qui n’ont de cesse de le torturer (physiquement et moralement). Jusqu’au jour où emménage sur son palier la jeune Abby, douze ans comme lui, et son vieux et étrange « père ». Très rapidement, le garçon se lie d’amitié avec cette gamine étrange à la force de caractère introvertie. Mais à mesure que l’amitié se transforme en amour, Owen découvre la face cachée d’Abby… D’un pur point de vue pitchesque, LAISSE-MOI ENTRER décline donc les promesses du MORSE de Tomas Alfredson. Une fidélité au film originel qui tend parfois vers la littéralité, sans toutefois tomber dans le décalque inutile.

LetMeInChroniquePosterSi nous avions peur a priori en allant voir la relecture de MORSE, ce n’est pas tant parce qu’elle flotte sous bannière américaine, mais parce que la question de l’utilité d’un remake reste légitime. Surtout d’un bijou comme l’était MORSE. Soyons rassurés. Quand on aime MORSE, aucune raison de ne pas aimer LAISSE-MOI ENTRER, Matt Reeves pondant ici un remake d’une grande fidélité au long-métrage de Tomas Alfredson. On trouvera certes quelques changements, notamment structurels (LAISSE-MOI ENTRER débute par un flashforward), mais rien qui ne défigure ce que l’on appréciait dans MORSE. Même si ces différences n’apportent pas grand-chose au remake, voire l’alourdissent en essayant de rendre son premier acte plus efficace. (On pourra également déplorer quelques CGI ratées). On retrouve par ailleurs la même ambiance épurée, la même lenteur pesante du récit, le même décor enneigé et déprimant. LAISSE-MOI ENTRER pourrait friser le décalque, d’autant que Matt Reeves, qui signe également le scénario, effectue dans son film les mêmes choix d’adaptation du roman de John Ajvide Lindqvist qu’Alfredson. Ainsi, tout comme dans MORSE, Reeves n’observe pas frontalement la pédophilie du « père » d’Abby ou le fait que cette dernière n’est en fait pas une fille, mais un garçon castré par celui qui en a fait un vampire plusieurs siècles auparavant.

Pourtant, à y regarder de plus près, LAISSE-MOI ENTRER se confronte à ces pans du récit de façon plus directe que MORSE. Le personnage du « père » se voit légèrement plus expliqué que dans MORSE, si bien que l’on saisit assez brutalement l’amour déviant qu’il porte à la jeune vampire. De même, le cinéaste joue avec brio de l’androgynie flippante de Chloe Moretz, au point qu’il en devient difficile de distinguer son genre… Autant de petits détails prouvant que Reeves n’effectue pas là qu’un bête copié collé de MORSE, mais aussi une adaptation plutôt fine de « Let The Right One In », le roman.

LetMeInChroniquePic1Mais tout l’intérêt de voir LAISSE-MOI ENTRER, même quand on porte MORSE dans son coeur, réside encore au-delà. Les performances de Kodi Smit-McPhee et Chloe Moretz, absolument impressionnantes de gravité, font oublier celles de Kare Hedebrant et Lina Leandersson, qui ne déméritaient déjà pas. Captant leurs regards et le moindre de leurs gestes avec délicatesse et juste ce qu’il faut de complaisance ambigüe, la mise en scène de Matt Reeves offre au film une autre de ses qualités majeures. Outre un moment de bravoure ahurissant (un accident de voiture du point de vue du siège arrière), Reeves fait preuve ici d’une grande maturité, faisant de LAISSE-MOI ENTRER une oeuvre profondément personnelle. Là où MORSE apparaissait parfois clinique dans sa manière de filmer les tortures subies par Oskar à l’école, le remake infuse on ne sait par quelle magie, sans sur-dramatisation, une puissance et une nervosité aussi dérangeante que crève-coeur à ces scènes. Reeves assurait avoir vu dans le roman de Lindqvist un récit proche de son enfance, et ce sentiment d’identification suinte de l’écran.

De même, le cinéaste illustre la solitude de l’enfance en excluant systématiquement du cadre le moindre visage d’adulte du cadre, tout comme avait pu le faire Spielberg dans E.T. La seule figure parentale ici dévoilée ? Celle du « père » d’Abby, incarnant le Mal et la violence. Un questionnement que Reeves aborde également d’un point de vue politique, en adressant à son pays un miroir peu flatteur, via de multiples références au reaganisme ou à la religion. MORSE, en se déroulant dans les années 80, baignait déjà son récit dans le marasme politique libéral, mais LAISSE-MOI ENTRER se situant aux Etats-Unis peut plus directement l’aborder en montrant Ronald Reagan à l’écran. Un président qui prétend combattre le mal communiste quand le pays est déjà rongé en son sein par le démon que représente Abby ou par la violence personnifiée par les camarades d’Owen. La foi, elle, ne parvient jamais à devenir une figure protectrice, car véhiculée par un seul personnage, la mère d’Owen, dépressive et alcoolique.

Autant qu’un tableau fin et subtil des maux de l’enfance d’un point de vue intime, LAISSE-MOI ENTRER brosse aussi le portrait d’une société occidentale corrompue dans tous ses fondements (familiaux, politiques, religieux), incapable d’élever ses enfants à distinguer le Bien du Mal. Une richesse thématique et un jusqu’au boutisme narratif/esthétique qui risque de jurer dans le paysage de l’entertainment hollywoodien, et qui devrait prendre à contrepied les spectateurs ricains attirés dans les salles par des bandes-annonces tapageuses. Couillu.

Laisse-moi entrer, de Matt Reeves. USA. 1h52. Avec Chloe Moretz, Kodi Smit-McPhee, Richard Jenkins, Elias Koteas. Sortie le 6 octobre.

Pour voir la bande-annonce en HD, rendez-vous sur Accropix

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