The Social Network : chronique

29-09-2010 - 11:13 - Par

NetworkChroBandeau

Conter la naissance de Facebook, une tâche inconséquente ? Sauf si l’on fait du film bien plus qu’une success-story lisse et affable. Comme une tragédie shakespearienne, par exemple.

En 2003, Mark Zuckerberg a 19 ans, et entame sa deuxième année à Harvard. Petit génie de l’informatique, pirate anarchiste, et autiste social, il se fait plaquer par sa petite amie. Noyant sa peine dans l’alcool, il crée en une nuit un réseau interne à sa fac visant à comparer le physique de toutes les étudiantes. Succès immédiat, tollé, accusations de machisme et réputation de merde à la clé, Zuckerberg tient pourtant une idée géniale, qui va devenir Facebook. Sauf qu’en créant son empire, le petit génie se fait beaucoup d’ennemis, dont son meilleur ami et co-créateur du réseau social, Eduardo Saverin. Que David Fincher s’empare d’un sujet aussi (f)actuel, peu propice à utiliser son style visuel si léché, en a étonné plus d’un. Pourtant, THE SOCIAL NETWORK s’avère être dans la droite lignée narrative de ses films précédents, prouvant qu’au-delà de ses capacités esthétiques évidentes, le cinéaste reste avant tout un auteur, ici brillamment servi par un scénariste l’ayant compris comme personne.

NetworkChroPosterIl y a peu, pour décrire THE SOCIAL NETWORK, David Fincher disait, avec le peu d’humilité qui le caractérise, qu’il s’agissait du « CITIZEN KANE des teen comédies à la  John Hughes ». Une sortie tonitruante qui prend tout son sens devant le film. Car THE SOCIAL NETWORK, comme CITIZEN KANE, déconstruit une histoire vieille comme le monde, faite d’ambition, de pouvoir, d’argent et de la solitude qui en découle. Et comme les films de John Hughes, explore le mal identitaire qui caractérise ce que l’on appelle « le jeune ». Avec humour noir et une grande mélancolie illustrant à merveille l’impuissance ressentie par quiconque cherche sa place, sans la trouver.

Car oui, si THE SOCIAL NETWORK conte bien la naissance de Facebook (et le génie visionnaire dans tout ce qu’il a de flippant de Mark Zuckerberg), le film s’attache davantage à nous raconter les à côtés. La plus vieille histoire du monde. Amour, amitié, trahison, argent, pouvoir, femmes, sexe, drogues et rock’n roll. Sur un mode shakespearien, le scénario malin et dynamique d’Aaron Sorkin se penche sur l’amitié bafouée entre Zuckerberg et son associé/financier Eduardo Saverin, faux frères presque siamois, trouvant en Facebook le moyen de s’affirmer et enfin devenir quelqu’un. Sorkin, usant de toutes les qualités qu’on lui connaissait dans A LA MAISON BLANCHE ou STUDIO 60 (entre autres), et rappelant inévitablement le cinéma des années 70 (celui où le récit et les personnages font office de seuls vecteurs des moments de bravoure), tisse ici une toile raffinée, en perpétuel mouvement. Le script joue avec brio sur des dialogues virevoltants et tranchants, sur les ellipses, sur l’absence de jugement (chaque personnage exposant SA vérité). Le tout pour illustrer à merveille l’époque médiatique actuelle, où tout est toujours bon à dire, à commenter. Un tourbillon étourdissant ne prenant jamais fin et s’alignant sur le credo de Zuckerberg : « Facebook ne sera jamais achevé ». En perpétuel mouvement, toujours.

NetworkChroPicSi bien que Sorkin s’affiche comme un père du film aussi important que David Fincher. En comprenant parfaitement le cinéma de ce dernier, Sorkin fournit au cinéaste le moyen de pousser encore un peu plus loin des thèmes hantant ses films depuis toujours : l’obscure influence des femmes et l’obsession névrotique. Tout comme les héros de ZODIAC, de FIGHT CLUB ou le personnage de Brad Pitt dans SEVEN, Zuckerberg est traversé d’une incapacité à lâcher l’affaire. Obsessif au dernier degré, capable de vendre sa mère pour Facebook, son bébé, il apparaît néanmoins plus fin que d’autres protagonistes de Fincher. Presque « Gatsby le Magnifique », Zuckerberg, incarné par un Jesse Eisenberg impressionnant, sait attendrir dans sa folie et son inhumanité. D’autant que Zuckerberg, tout autiste qu’il soit, agit pour une seule chose : une fille. Qu’il aime. Chez le cinéaste, les femmes ont toujours servi à alimenter les maux et névroses des hommes (FIGHT CLUB), à signer leur fin (SEVEN), ou à les empêcher de s’accomplir tout en les ramenant à une réalité inconfortable (ZODIAC). Même dans ALIEN 3, Ripley se voyait niée dans sa féminité. Ici, ce machisme inversé s’affiche presque poétique, où les hommes sont impuissants et malheureux non par la faute des femmes, mais parce qu’ils sont incapables de s’épanouir sans les contrôler ou les posséder.

Le cinéma de Fincher accomplit donc sa mue débutée dans ZODIAC, pour atteindre un nouveau niveau de maturité. Plus fin, moins ouvertement show off, THE SOCIAL NETWORK se vit comme un thriller humain, regorgeant d’idées (de montage notamment), cadencé par une bande son incroyable (de Trent Reznor aux Beatles) et où le talent esthétique de Fincher se met davantage au service de personnages incarnés et émouvants, et d’une vitalité narrative imparable. Sans aucun doute une voûte dans sa filmographie.

The Social Network, de David Fincher. USA. 2h. Avec Jesse Eisenberg, Andrew Garfield, Justin Timberlake. Sortie le 13 octobre 2010.

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