Interview : John Landis pour CADAVRES À LA PELLE

30-08-2011 - 11:35 - Par

« C’est décevant de rencontrer les réalisateurs de votre enfance, non ? », nous lance John Landis. Le père des BLUES BROTHERS, du LOUP-GAROU DE LONDRES ou d’UN FAUTEUIL POUR DEUX, venu à Paris promouvoir CADAVRES À LA PELLE – son dernier film après treize ans d’absence au cinéma –, ne pouvait pas avoir plus tort.

Interview publiée dans Cinemateaser Magazine n°6 (en kiosques jusqu’au 6 septembre) / Propos recueillis par Aurélien Allin / Photo : Olivier Vigerie

CADAVRES À LA PELLE étant une production Ealing (studio britannique légendaire des années 30 à 50, ndlr), est-ce que le film était un moyen pour vous d’observer ce qu’est devenue la comédie et de lui rendre son lustre ?

Pas tout à fait… Dans les années 40 et 50, Ealing a produit nombre de films formidables : des films d’horreur comme AU CŒUR DE LA NUIT, ou des comédies noires comme NOBLESSE OBLIGE, TUEURS DE DAMES, L’HOMME AU COMPLET BLANC… Quand on m’a proposé CADAVRES À LA PELLE, je voulais surtout rendre hommage à cette tradition. Ce que j’aimais le plus dans ce projet, c’était rendre attirants des personnages méprisables.

On les aime aussi parce que Simon Pegg et Andy Serkis sont des acteurs appréciables. Et c’est au final très étrange de finir par apprécier ces monstres…

Oui, les monstres – surtout ceux ayant existé – sont souvent les personnages les plus fascinants au cinéma. Mais pour moi, Burke et Hare n’en sont pas, car ils n’ont pas d’excuse. Ce sont des businessmen, ils répondent à la demande. Ce qu’ils font, c’est du pur capitalisme. Il y a eu de nombreux films sur Burke et Hare, qui lorgnent tous vers l’horreur. Mon intention était aussi d’en faire une comédie romantique. L’ironie est que CAVADRES À LA PELLE reste sans doute le plus respectueux de la vérité historique !

Est-ce qu’on peut voir CADAVRES À LA PELLE comme un commentaire sur notre époque ultralibérale ?

Je voulais que Burke et Hare soient des Laurel et Hardy démoniaques. Le pire des deux, c’est sans doute Burke (Simon Pegg, ndlr), car il sait que ce qu’il fait est mal. Il a une conscience. Mais il le fait quand même, juste pour l’argent, pour séduire cette jeune femme dont il est amoureux. Hare (Andy Serkis, ndlr), lui, est amoral, il prend tout ça pour du business. C’est donc comme le monde d’aujourd’hui : on veut se débarrasser de Kadhafi mais, en même temps, on dit apprécier les Saoudiens. « Nous aimions ce dictateur il y a quelques semaines, mais plus maintenant. » C’est de la pure hypocrisie. Comme l’invasion de l’Irak, une pure connerie.

On vous a peu vu depuis 1998…

J’ai fait plein de choses ! Vous ne les avez pas vues en France, mais j’en ai fait. (Rires.)

On a quand même vu la série LES MAÎTRES DE L’HORREUR…

Ah oui ? Cool ! Je suis très content de l’épisode UNE FAMILLE RECOMPOSÉE (saison 2, ndlr), il est très étrange, pas du tout comique. Ce qui était génial avec LES MAÎTRES DE L’HORREUR, et c’est pour ça que tout le monde a accepté d’y participer, c’est que Mick Garris, le créateur, nous a donné un million de dollars et carte blanche pour tourner chaque épisode.

Pendant treize ans, rien de ce que vous avez fait n’est sorti en salles… Est-ce que c’est devenu difficile pour vous de faire un film à Hollywood ?

C’est difficile pour tout le monde. Je ne me sens pas mis de côté pour autant. Cela dit, ce que vous appelez Hollywood n’existe plus. Chaque studio n’est désormais qu’une subdivision d’énormes multinationales. Leurs buts ont changé, leurs profits aussi. Les dépenses en marketing, bien plus que les coûts de production, sont gigantesques. Ils veulent faire des films qui fonctionnent autant en Corée qu’à Marseille, au Portugal ou dans le New Jersey. Ils lancent donc des projets ayant le plus petit dénominateur commun : TRANSFORMERS, SPIDER-MAN… Avec un peu de chance, certains sont biens. Mais la plupart ne le sont pas, parce que c’est difficile de faire un bon film quand les décisions sont prises en conseil d’administration et qu’elles sont dictées par la peur.

Vous trouvez donc frustrant que les exécutifs de studio soient davantage des diplômés d’écoles de commerce que des cinéphiles avertis ?

Ce ne sont que des comptables. Hier soir, je discutais avec mon ami Costa-Gavras. Deux ans après que j’ai fait AMERICAN COLLEGE chez Universal, ils ont lancé la production de MISSING (PORTÉ DISPARU), un film génial. Aucun studio ne produirait ça aujourd’hui ! Des MACADAM COWBOY, des ORANGE MÉCANIQUE, des CHINATOWN… personne ne les financerait. On me demande souvent si je n’ai pas envie de retravailler avec un studio. Bien sûr que j’aimerais, si le projet est bon. Mais vous savez, j’ai été tellement déçu avec BLUES BROTHERS 2000, qui a été complètement charcuté par Universal… Ça m’a brisé le cœur.

Dans votre carrière, vous avez été cascadeur… Quel est votre souvenir préféré de cette époque ?

Je ne sais pas trop… Mais j’ai travaillé sur IL ÉTAIT UNE FOIS DANS L’OUEST. J’ai bossé une autre fois avec Sergio Leone, sur un film dont il était producteur et réalisateur seconde équipe : MON NOM EST PERSONNE. Pour moi, ça consistait en trois semaines de cheval et de gunfight. C’était très fun. Walter Hill (48 HEURES) a dit un jour : « S’ils savaient à quel point c’est amusant de tourner un western, ils ne nous laisseraient pas faire. » Je n’ai réalisé qu’un western, la comédie 3 AMIGOS, et je me suis éclaté : être dehors à faire le fou, c’est quand même génial !

Vous avez débuté comme préposé au courrier à la Fox. Est-ce qu’une telle ascension serait possible aujourd’hui ?

Vous savez, le cinéma, ce n’est pas comme l’armée ! On ne gravit pas les echelons ! (Rires.) Parfois, je donne des conférences dans les écoles et je demande aux élèves ce qu’est un réalisateur pour eux. J’obtiens des réponses très ésotériques. Pour moi, la réponse est simple : un réalisateur est quelqu’un qui a réalisé un film. Comment devenir cinéaste ? Il faut trouver de l’argent. Aujourd’hui, avec le progrès technologique, on peut faire un film tout à fait viable pour 2 000 dollars. Mais le talent ne s’enseigne pas…

Il y a beaucoup de films faits pour rien, à la DV… Au final, ça finit par avoir le goût d’une recette commerciale comme une autre. Il n’y a tout de même pas beaucoup de succès dans ce genre.

Il y a eu BLAIR WITCH ou PARANORMAL ACTIVITY… BLAIR WITCH est une arnaque. Mais PARANORMAL ACTIVITY est plutôt malin. Ça ne fait que deux films !

Lars von Trier a créé le Dogme aussi…

Oui, mais le Dogme, c’est de la merde ! Tous les mecs qui ont fait un film Dogme ont brisé les règles qu’ils s’étaient imposées. C’était juste du marketing. Mais FESTEN (de Thomas Vinterberg, ndlr) reste génial.

Votre premier film, AMERICAN COLLEGE, fut une grande réussite. Aujourd’hui, les films parodiques sont devenus très paresseux…

La parodie est un genre facile, on ne fait que se moquer. La satire, au contraire, est plus délicate, et a engendré parmi les meilleures comédies qui soient, voire les meilleurs films tout court, comme DR FOLAMOUR. Dans mon film HAMBURGER FILM SANDWICH, le segment intitulé POUR UNE POIGNÉE DE YENS est totalement idiot. Mais c’est aussi un bon film d’arts martiaux, il fonctionne dans le genre qu’il parodie ! Or aujourd’hui, les gens pensent qu’il suffit de montrer des nichons et faire des blagues scato. Heureusement, il y a encore des réussites, comme BORAT. C’était à la fois choquant et drôle. J’ai appris une chose fabuleuse : Borat est censé être antisémite dans le film. Mais quand Sacha (Baron Cohen, ndlr) parle en kazakh, c’est en fait de l’hébreu. Un hébreu parfait. Je trouve ça absolument incroyable. Après ça, il a fait BRÜNO, mais le problème est que le personnage est un connard. Alors que Borat est candide, naïf. Un ignare, mais pas un mauvais gars. Donc on pouvait s’attacher à lui. Tout est dans l’écriture, l’interprétation… Regardez le personnage de John Blutarsky dans AMERICAN COLLEGE. J’avais dit à John Belushi qu’on devait en faire un mec gentil. Alors que, sur le papier, c’était juste un porc. Je lui ai dit qu’il devait être un mix entre Macaron le Glouton dans 1, RUE SéSAME et Harpo Marx. John a parfaitement accompli cela. Par exemple, quand il explose la guitare, juste après, il glisse un « désolé… » qui fait toute la différence.

Parlons un peu du LOUP-GAROU DE LONDRES. Parfois, les gens le voient comme une comédie, alors que c’est un vrai film d’horreur, très effrayant…

LE LOUP-GAROU DE LONDRES est clairement un film d’horreur, oui, mais qui a la particularité d’être très drôle. Selon moi, les gens ont besoin de labelliser les choses. Or, j’aime mélanger les genres. Aujourd’hui, c’est de plus en plus dur de choquer et c’est pour ça qu’on en arrive à ces films d’horreur transgressifs, ces torture porn totalement idiots.

Parfois, on en vient à être plus choqués par des films plus anciens et moins graphiques…

Vous savez pourquoi ? Parce que – et les gens ont tendance à l’oublier – le plus important au cinéma est de tout faire pour que le public s’investisse émotionnellement. Beaucoup de films d’horreur contemporains n’ont pas cette qualité. Ça se résume juste à savoir qui sera la prochaine victime. On s’en fout ! Tuez-les tous ! (Rires.) Pour moi, L’EXORCISTE reste l’un des meilleurs films d’horreur de tous les temps parce que, même si je suis totalement athée et que je me contrefous du diable et de Jésus, quand je l’ai vu, j’étais terrifié. Ça a créé chez moi ce que l’on appelle la suspension de l’incrédulité. Friedkin consacre énormément de temps à ancrer le récit dans la réalité, si bien que, lorsque les événements débutent, on y croit à fond. L’église devrait sanctifier Friedkin ! C’est un des films les plus pro-catholiques qui soit, parce qu’en regardant L’EXORCISTE, on gobe tout…

Dans LE LOUP-GAROU DE LONDRES, vous utilisez beaucoup d’effets prosthétiques. Quel est votre regard sur l’explosion des CGI ?

J’aime les CGI s’ils sont utilisés correctement. Je me souviens, la première fois que j’ai vu LE SEIGNEUR DES ANNEAUX, avec ces batailles en images de synthèse, j’ai été impressionné. Tout simplement parce que Peter Jackson les utilise pour nous montrer ce qu’il ne pourrait nous montrer sans CGI. Donc quand ils restent un outil, ça me va. Mais on a tendance à les sur-utiliser de nos jours. Même IRON MAN, que j’ai beaucoup aimé, ou SPIDER-MAN… Tout finit par se ressembler. Et ça, c’est décevant.

Vous avez travaillé avec Eddie Murphy sur trois films : était-ce facile de le canaliser ?

Il fut un temps où on pouvait le contrôler. Sur UN FAUTEUIL POUR DEUX, ça allait. UN PRINCE À NEW YORK, un peu moins. Sur LE FLIC DE BEVERLY HILLS 3, c’était peine perdue. Eddie est un homme étrange. Quand on a fait UN FAUTEUIL POUR DEUX, il était très jeune, il avait quelque chose comme 21 ans. C’était génial, on s’est énormément amusés. Puis sur UN PRINCE À NEW YORK, il était devenu un nabab. Il refusait de donner la réplique à ses collègues quand il était en contre-champ. Donc on s’est copieusement engueulés. Alors quand, des années plus tard, on m’a proposé de réaliser LE FLIC DE BEVERLY HILLS 3, j’ai demandé aux producteurs qui reprenait le rôle d’Eddie, parce que je ne pensais pas qu’on retravaillerait ensemble. Il se trouve que c’est lui qui m’a réclamé… (Il s’interrompt.) C’était sa façon de s’excuser. Je pense que c’est un homme terriblement triste et malheureux. Mais quel talent !

CADAVRES À LA PELLE de John Landis. En salles le 31 août

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