Interview : Peter Mullan pour NEDS

30-08-2011 - 11:49 - Par

De MY NAME IS JOE à NEDS, en passant par HARRY POTTER, Peter Mullan fait du cinéma britannique un art quatre étoiles, qu’il en soit acteur ou réalisateur. En homme de gauche convaincu, il revendique son statut d’artisan et n’est jamais à court d’une anecdote pour dépeindre la folle industrie. Drôle et généreux.

Interview publiée dans Cinemateaser Magazine n°6 (en kiosques jusqu’au 6 septembre)

Propos recueillis par Aurélien Allin et Emmanuelle Spadacenta / Photos : Olivier Vigerie

Vous dites que NEDS est personnel, mais pas autobiographique. Dans quelle mesure ?

Le parcours émotionnel de John ressemble à ce dont je me souviens de ma propre enfance. Mais il y a trop d’éléments fictionnels dans le film pour le revendiquer comme autobiographique. Contrairement au personnage, j’ai grandi dans une famille de huit enfants. L’un de mes frères a été électrocuté quand il avait 3 ans, il en a gardé des séquelles sérieuses et avait de graves difficultés d’apprentissage. C’est une partie importante de ma vie qui n’est pas dans NEDS. Mais si l’on regarde de plus près le jeune John, la manière dont il est molesté à l’école, le fait que son frère soit un voyou… Ça m’est vraiment arrivé. L’un des incidents extrêmement fidèle à la vérité, c’est que, comme John, j’ai rejoint un camp d’été local, j’y ai rencontré le fils d’un avocat, on est devenu amis. Un jour, je suis passé chez lui et sa mère m’a mis à la porte, car je n’étais pas une bonne fréquentation. Sur le chemin du retour, les types d’un gang ont voulu me frapper : l’un d’eux m’a reconnu et m’a demandé si j’étais bien « le frère de Lenny ». J’ai acquiescé et ils m’ont offert de les rejoindre. Je me suis dit : « Pourquoi pas ? Puisque je ne peux pas avoir de copains. »

Ce qui est touchant dans NEDS, c’est la manière dont vous parvenez à retranscrire combien l’enfance peut être humiliante, surtout à l’école. Était-ce si douloureux pour vous ?

Je me suis amusé à l’école primaire. J’étais bosseur, le vrai fayot du prof et, en plus, j’étais bon en foot. Au collège et au lycée, c’était différent. Les gars avaient des couteaux, certains se faisaient poignarder… J’ai arrêté l’école pendant un an, pour traîner dans la rue. Quand j’y suis retourné, les profs étaient suspicieux, car j’étais un ange devenu un très mauvais garçon. À 15-16 ans, ils m’ont refait confiance et ma dernière année fut salvatrice. J’avais tout le temps la clope au bec et une aura de bad boy, mais je travaillais dur.

John a ce quelque chose de Cal Trask dans À L’EST D’EDEN… surtout dans la relation à son père où la peur prend le pas sur l’amour…

C’est vrai. Mais je dirais plutôt que le père de John est simplement dysfonctionnel. Il est jaloux de son fils, car il se sait taré et mentalement instable. S’il vivait de nos jours, son docteur lui conseillerait une thérapie. Mon père à moi? Je n’avais jamais réalisé à quel point il était malade, jusqu’à ce que je joue ce rôle. (Peter Mullan campe le père de John McGill dans NEDS, ndlr.) En tant qu’alcoolique, il était destructeur physiquement et mentalement. Je crois qu’il était fou. La seule excuse que je peux lui trouver, c’est qu’il faisait partie d’une génération qui a connu la guerre. Qui revenait du front sans que personne ne parle des syndromes post-traumatiques. Ça les a bousillés. Les gens de mon âge, qu’ils appartiennent à la classe moyenne ou ouvrière, n’ont jamais eu un câlin de leur père. Ils ne s’occupaient pas de nous. Et ce dont je suis fier, c’est que nous avons inversé la tendance. Aujourd’hui, je ne connais pas un seul type qui ne montre pas à ses enfants à quel point il les aime.

Vous trouvez que les années 60-70 étaient plus violentes qu’aujourd’hui ?

Non. La seule différence entre les gangs d’aujourd’hui et ceux d’hier, c’est que, grâce à la technologie et aux réseaux sociaux, ils sont bien plus organisés. Mais sinon, ils ont les mêmes hiérarchies et valeurs aux relents fascisants : courage, honneur, loyauté. Il n’y aucune conscience anti-establishment. Au contraire, ils sont très conservateurs. Quand j’étais dans ces gangs, j’ai fait l’erreur de penser qu’ils étaient contre l’ordre établi. Révolutionnaires. Tu parles… Ils ne respectent personne plus que les flics.

Comment de l’argent français a-t-il financé NEDS ?

Via Wild Bunch, qui avait déjà distribué MAGDALENE SISTERS. Le film avait généré des bénéfices, donc ils m’ont soutenu à nouveau. C’est un fonctionnement capitaliste.

Pensez-vous que de telles coproductions soient le futur du cinéma britannique ?

Oui. Pourtant, des pays comme la France auraient le droit de dire : « Pourquoi financer des films anglais et écossais alors que la réciproque n’est pas vraie ? » Je comprendrais que certains États adoptent une attitude plus protectrice, plus restrictive à notre égard. Avec ce qui se passe en Grèce ou en Espagne, et les exigences de l’Allemagne, la culture paneuropéenne pourrait nier les décisions culturelles nationales, quand chacun veut les défendre. Mais il n’y a pas de coïncidence à voir les Écossais et les Anglais se tourner vers l’Europe pour lever des fonds : nous n’avons plus d’argent.

D’autant plus que le UK Film Council (sorte de CNC pour le Royaume-Uni, ndlr) a fermé…

La production va s’écrouler. NEDS est un gros budget par rapport à d’autres films du Royaume-Uni. Il a coûté 3,5 millions de livres (4 millions d’euros, ndlr). De nos jours, c’est énorme. On a réuni l’argent avant la crise financière. Si nous avions tardé, nous n’aurions pas pu le faire. L’an dernier, j’ai tourné TYRANNOSAUR, de Paddy Considine. C’est un long-métrage magnifique, mais nous l’avons fait pour 750 000 livres (850 000 euros, ndlr). J’ai dû engager mes propres deniers, car personne ne pouvait me payer. La plupart de mes copains acteurs n’ont pas travaillé depuis cinq ou six mois.

Est-ce ce contexte difficile qui vous a empêché de revenir à la réalisation depuis neuf ans ?

Non. Si j’ai mis tant de temps, c’est que l’aventure MAGDALENE SISTERS s’est terminée pour moi à la fin 2004, alors que j’avais bouclé le film en 2001. Sa distribution a été étalée dans le monde, je l’ai promu pendant de longs mois. Après ça, j’étais occupé à jouer et j’avais peu de temps pour écrire.

Vous jouez dans HARRY POTTER ET LES RELIQUES DE LA MORT. De grands acteurs britanniques ont foulé les plateaux de la saga. Lorsqu’on vous a proposé le rôle, avez-vous accepté tout de suite ?

Un peu, oui ! J’ai rencontré David Yates, le réalisateur, dans un hôtel snobinard à Londres. Avant même que je ne m’assois, il a dit deux trucs : « J’aimerais beaucoup que tu sois dans le film » et « Tu dois absolument amener tes enfants sur le plateau. » À la minute où il a prononcé cette phrase, j’ai accepté. Il s’étonnait parce que je n’avais pas lu le scénario, je ne connaissais pas mon personnage, mais je lui ai dit : « Rien à foutre. » Tant que mes enfants rencontrent Harry Potter et peuvent tabasser Voldemort ! Il faut comprendre que mes gamins ne m’ont jamais pardonné d’avoir refusé deux films : BILLY ELLIOT et PIRATES DES CARAÏBES. Ils m’en tiennent une rancune terrible. L’ironie de la situation ? Si je n’ai pas fait PIRATES, c’est parce que je ne voulais pas m’éloigner d’eux pendant quatorze semaines. « On s’en fout ! On aurait pu rencontrer Johnny Depp ! T’aurais pu être super riche ! » HARRY POTTER a signé la grande réconciliation. Le premier jour, j’ai demandé à Jason Isaacs (Lucius Malfoy, ndlr) s’il était vrai que les enfants étaient bienvenus. Il n’y avait qu’à regarder : des gosses dans tous les coins ! Le set de HARRY POTTER, c’est accueillant pour les gamins, c’est même accueillant tout court ! Ça n’existe pas dans ce métier, je vous promets. Dès que vous allez tourner, la prod’ met les enfants derrière de petites barrières pour qu’ils puissent vous regarder. Je n’ai jamais vu ça. Et vous savez quoi ? Face à un tel public, tous les acteurs musclent leur jeu.

Après ça, CHEVAL DE GUERRE de Steven Spielberg vous a offert à nouveau un rôle de père complexe…

Un autre alcoolo, oui. (Rires.) Je suis doué pour ça.

Justement, n’est-ce pas redondant avec le rôle de NEDS ? Pourquoi avoir accepté ?

Pour Steven Spielberg. Je vais vous raconter comment ça s’est passé. On m’a demandé de venir à Londres pour lire le script. J’ai répondu : « Pour faire une lecture ? », sous-entendu « faire des essais ». Non, lire le script… J’habite à Glasgow. On devait mal se comprendre. J’ai redemandé si j’auditionnais. Mais, encore une fois, on me répond qu’il faut juste lire un scénario. « Postez-le moi. » On m’a dit que ce n’était pas possible, que c’était top secret. Pourquoi j’irais jusqu’à Londres pour lire un putain de script ? Et je les ai envoyés balader. Ils ont rappelé le lendemain pour insister. J’ai demandé s’ils payaient le trajet. Non. J’ai regardé les prix pour un Glasgow-Londres : 359 livres ! Moi ? J’allais payer 400 euros pour lire un script ? Si j’obtenais le rôle, ce serait probablement un bon investissement. Dans le cas contraire, c’est un paquet de pognon balancé par la fenêtre. Mais j’y suis allé. La directrice de casting voulait m’enfermer dans une pièce aveugle ! Elle m’a répété combien c’était confidentiel. « Imaginez qu’il y a le feu ? », j’ai dit. « Imaginez que vous m’oubliiez dans la pièce et que vous repartiez avec la clé ? J’ai payé 400 euros pour lire un scénario, pas pour crever dans une pièce. » Alors, pour tout compromis, je l’ai lu à la cantine. Je n’étais pas dans les meilleures dispositions, mais j’ai dû me rendre à l’évidence : ça valait le coup. J’étais vraiment surpris par la qualité de ce que je lisais. Un film pour enfants, raconté avec un regard et une sensibilité très adultes, sans pour autant donner des leçons. C’est une magnifique critique de l’aspect génocidaire de la guerre.

Vous avez donc eu le rôle aussi rapidement ?

Moi qui pensais multiplier les entretiens et les essais costumes ! Sur le plateau, Steven est un réalisateur très différent de ceux que j’ai fréquentés, car il est très concentré sur la technique. « On est prêt à la caméra, alors joue ! Pleure, crie ! Regarde là, mets ton menton comme ça. » C’est Hollywood. Ça m’a pris quelques jours pour m’y habituer… Après, c’était le bonheur.

Vous avez travaillé deux fois avec Andrew Garfield. Pour BOY A et RED RIDING TRILOGY. Déplorez-vous parfois, vous qui défendez le cinéma britannique, que les jeunes acteurs anglais partent aux États-Unis sur de gros blockbusters ?

On est dans un pays libre ! Si vous rencontrez Sean Connery, vous n’êtes pas impressionné parce qu’il a fait LA COLLINE DES HOMMES PERDUS ou THE OFFENCE… Mais parce qu’il a fait JAMES BOND. Il tire sa crédibilité de ses expériences avec Sidney Lumet, c’est sûr. Or, s’il est une vedette, c’est parce qu’il est 007. Ou le père d’INDIANA JONES. Andrew sera une grosse star. C’est un excellent acteur. Comme Colin Farrell ou Ewan McGregor avant lui, il aura plus d’argent à 27 ans que vous ou moi en cinq vies. Mais ce sera dur. Car il aura droit à toute la merde qui va avec cette notoriété. J’ai vu ce que ça fait aux jeunes acteurs : ça leur bousille la tête. À la minute où vous devenez riche et célèbre, vous abandonnez le droit de vous plaindre. Vous appelez votre mère ou votre frère, vous ne pouvez pas dire que vous êtes fatigué ; ils vous enverrons bouler car, passer dix heures à bosser au supermarché, ça, c’est une journée de merde.

Vous avez dit vouloir essayer de tourner un drame en 3D…

Oui, pour voir si ça marche sur les adultes. Mais la 3D n’est pas aussi convaincante qu’on nous l’avait promis. J’ai vu KUNG FU PANDA 2 en relief la semaine dernière, avec ma cadette : techniquement, c’est bâclé. Quand vous considérez la profondeur de composition que vous pouvez obtenir, il faut prendre un peu de recul. Qu’est-ce que Kubrick en aurait fait ? Mais je vois mal un studio investir 100 millions dans un film sans séquence d’action. Le cinéma est devenu un cirque. AVATAR a sa place là-dedans, c’est un spectacle qui ne vous donnera pas de méningite. Et puis les salles perdent terriblement de leur valeur : aujourd’hui, chacun peut avoir son cinéma à domicile et, en plus, tu peux inviter tes amis à boire un coup.

NEDS de Peter Mullan. En salles le 31 août.

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