BULLHEAD : chronique & dossier

22-02-2012 - 12:46 - Par

Un premier long-métrage étouffant et dérangeant, qui nous en met plein la tronche. Une révélation. Retrouvez notre critique et un dossier dans lequel le réalisateur Michaël R. Roskam revient sur le film.

Chronique (Par Aurélien Allin)

Jacky, éleveur de bovins belge, voit sa vie basculer quand l’assassinat d’un flic met en danger le deal qu’il a passé avec le plus gros trafiquant local d’hormones. Le pitch est sommaire, mais en révéler plus déflorerait le coup de boule qu’est BULLHEAD, premier film de Michaël R. Roskam. Tout acquis à la cause d’un storytelling révélant ses atouts par petites touches, le cinéaste bâtit une ambiance en perpétuel climax, rappelant avec joie l’un des chocs de 2011, ANIMAL KINGDOM. Disciple de Bruno Dumont par son esthétique de la grisaille et l’absence de jugement avec laquelle il filme ses personnages, Roskam affiche une maîtrise assez folle. Dans BULLHEAD, pas de frime de mise en scène, pas de psychologie outrancière, pas d’enjeux nombrilistes. Roskam fait du cinoche exigeant dont on sait en le voyant qu’il ne nous laissera pas indemne. Car face au destin de cette montagne de muscles taciturne et frustrée qu’est Jacky, touchant dans tout ce qu’il a de plus flippant, une chose est sûre : le mec va exploser. Le tout est de savoir quand, comment et pourquoi. La réussite de la chose ? Lorsque cela arrive, BULLHEAD a eu beau nous préparer pendant deux heures, le film parvient encore à surprendre et émouvoir.

De Michaël R. Roskam. Avec Matthias Schoenaerts, Jeroen Perceval, Jeanne Dandoy. 2h09. Sortie le 22 février

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Dossier (Par Julien Munoz)

LA BELGIQUE LÂCHE LA BÊTE

Pas facile d’être attractif avec « tête de bœuf » pour nom. Mais, comme un livre, BULLHEAD ne doit pas être jugé sur sa couverture. LE risque serait de passer à côté de la bombe qui a remué le cinéma flamand.

Le 7 septembre 2011, Forum des Images, Paris. La 17e édition de l’Étrange Festival bat son plein, il est approximativement 18h45 et, sans vraiment le savoir, nous sommes à quelques instants de nous prendre un uppercut en pleine tronche : BULLHEAD, premier long-métrage du Flamand Michaël R. Roskam, alors inconnu au bataillon. Deux heures et neuf minutes plus tard, dans un silence presque religieux, nous nous extirpons de la projection où l’enthousiasme est palpable. Il se confirmera le lendemain, lorsque nous laissons traîner une oreille indiscrète vers une conversation entre le réalisateur et l’assistante de l’attaché de presse de la manifestation, une fois la température prise auprès des journalistes présents : les avis sont unanimes et tout le monde veut tailler une bavette avec le novice qui présente tous les signes d’un futur grand du 7e art. Pour l’heure, c’est à notre tour d’entamer le bout de gras avec l’intéressé, tout aussi surpris de l’engouement suscité par BULLHEAD que nous le serons de son humilité.

L’amour, le crime, les vaches

Michaël R. Roskam n’a pourtant pas de quoi rougir, son travail est impressionnant de maîtrise. Qu’elle soit formelle ou narrative. Pas très étonnant quand on apprend que le projet a germé dans sa tête des années avant qu’il ne le couche sur papier : « Ça prend du temps, nous dit-il. Il faut chercher les fonds et, surtout, écrire un bon scénario. J’ai travaillé dessus plus de trois ans pour arriver à la vingt-deuxième version. Il m’arrive de voir encore quelques petites erreurs… » Modeste, Michaël Roskam. Car l’une des forces de BULLHEAD, c’est précisément son script qui ose un audacieux mélange des genres. « Au départ, je voulais raconter une petite histoire avec un fermier qui, enfant, s’était fait attaquer par une bande de jeunes et en suivre les conséquences ». Le paysan, c’est Jacky (Matthias Schoenaerts), une armoire à glace shootée aux stéroïdes qui cache donc une faille intérieure. Ses activités ne se limitent pas aux picouses et au bien-être des vaches, car Jacky nage également dans le trafic d’hormones, ce qui permet au récit de tremper autant dans le drame psychologique que dans le polar. Notamment via l’enquête sur le meurtre d’un flic fouinant justement dans le commerce illicite des anabolisants. La scène du crime s’inspire d’un véritable fait-divers survenu en Flandre, mais loin du réalisateur l’idée d’opter pour une évocation naturaliste de l’affaire : « Ça ne m’intéresse pas du tout de faire un film sur des faits réels », affirme-t-il, inquiet de cette fausse idée que nous autres Français pouvons avoir du cinéma belge, qui se cantonnerait à la comédie déglinguée (de C’EST ARRIVÉ PRÈS DE CHEZ VOUS jusqu’à DIKKENEK) ou au drame social à la Dardenne. Une idée d’autant plus fausse qu’elle oublierait un peu vite que la Belgique ne possède pas une, mais deux filmographies bien distinctes. D’un côté, chez les Wallons (plus proches et plus accessibles pour le public français), on cultive un cinéma de genre décalé (les récents CALVAIRE et LA MEUTE). De l’autre, en Flandre, on a pu assister aux percées – malheureusement trop discrètes dans l’Hexagone – d’agitateurs comme Pieter Van Hees (LEFT BANK) ou Koen Mortier (EX DRUMMER), auxquels s’ajoute naturellement Michaël Roskam qui ne cherche pas à étiqueter à tout prix BULLHEAD.

Nouveau Genre

« D’un certain côté, on peut dire que c’est un film noir mais, pour moi, il s’agit surtout d’une tragédie. » Voire d’une tragi-comédie. L’aspect policier et la quête destructrice de Jacky, enchaîné à son passé, laissant parfois s’installer un comique de situation. Pour justifier du ton libre de son bébé, Michaël Roskam cite d’ailleurs aussi sec la FORTERESSE CACHÉE d’Akira Kurosawa : « Tu rigoles tout le temps, alors que l’histoire est foncièrement dramatique. Dedans, tu as les deux personnages du début qui sont clairement des cons. » Et s’il empile les références hétéroclites (Shakespeare, Orson Welles ou encore Jacques Audiard qu’il considère comme « un héros »), l’homme ne semble pas se laisser emprisonner par ses influences. Lui qui vient de la bande dessinée et a une connaissance solide de la peinture, a pour objectif de contribuer à cet autre cinéma flamand naissant (avec un grand C), doté d’une forte identité nationale : « De jeunes cinéastes sont en train d’émerger en traçant leur propre voie. Je pense que nous avons commencé en utilisant les dialectes régionaux flamands. En France, vous ne pouvez pas vous en rendre compte mais, dans BULLHEAD, j’ai dû sous-titrer des dialogues entiers pour le reste de la Flandre. C’est une authenticité que tout le monde commence à retrouver. Celle du respect de sa propre culture. Avant, notre cinéma, c’était une copie des autres et il n’avait pas d’identité. Maintenant, les metteurs en scène se disent ‘Essayons d’aller dans le fond des choses avec notre terroir’. » Accentuer la couleur locale pour mieux atteindre l’universalité du langage cinématographique : voilà ni plus ni moins l’ambition avouée de cette nouvelle avant-garde, dont BULLHEAD pourrait devenir l’un des fers de lance. Car derrière les traits d’une peinture criminelle réaliste et son décor régional (l’histoire est située à Saint-Trond, terre natale du réalisateur), le propos du film est susceptible de toucher tout le monde. Notamment la gent masculine, croquée ici dans toute sa puissance animale et sa fragilité intérieure à travers le personnage central. Une sorte de mise à nu de la virilité qu’il est rare de voir dépeinte ainsi, soulignons-nous : « Je suis content que tu aies remarqué cet aspect. D’ailleurs, je compte accentuer ces recherches sur la condition du mâle dans mon prochain long. » Et si, au lieu d’être un futur grand du cinéma de genre, Michaël Roskam ne devenait pas celui d’un genre ?

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