CLOCLO : interview de Florent Emilio Siri

19-03-2012 - 09:20 - Par

Il y a des chances que vous ayez vu CLOCLO. Alors, maintenant, nous vous proposons l’entretien que nous a accordé son excellent réalisateur Florent Emilio Siri, à la veille de sa sortie.


UNE MINUTE DE SILENCE, NID DE GUÈPES, OTAGE, L’ENNEMI INTIME, CLOCLO : depuis 14 ans, Florent Emilio Siri déroule un cinéma populaire, hautement visuel. De la dimension sociale du film à son esthétique clinquante, en passant par l’autocensure, nous avons, à ses côtés, passé au gril son biopic de Claude François, dont vous pouvez retrouver notre critique ici.

Auriez-vous cru, au début de votre carrière, que vous feriez un jour la promo de l’un de vos films sur le canapé rouge de Michel Drucker ?
Euh non, franchement. En promo, je vais où l’on m’envoie. C’est différent, chez Michel Drucker, c’est du stress, un peu de tension. Mais j’ai trouvé ça logique d’y aller. Claude François et lui, ils ont une histoire ensemble. Drucker est venu de lui même au moulin pendant le tournage. Ce qui nous a vachement touchés. C’est un fidèle. Et aujourd’hui, je peux effectivement dire que « j’ai fait Drucker ».

À quel point votre grande expérience du clip vous a-t-elle aidé à prendre les commandes de CLOCLO ?
Beaucoup. J’ai toujours voulu devenir réalisateur, et ma première expérience dans le clip, c’était à 26 ans avec « Le lion est mort ce soir » de Pow Wow. J’étais fou de cinéma et à l’époque, c’était le meilleur moyen d’en faire. Bon, j’étais pas très Claude François, j’étais plutôt punk, même si j’ai toujours aimé la soul music. J’ai toujours trouvé que le cinéma était un métier d’artisan, qui nécessite un véritable apprentissage. À part si tu es Orson Welles, John Ford ou Steven Spielberg, tu n’es pas à maturité avant d’avoir emmagasiné de nombreuses expériences. Et le clip m’a permis d’accumuler ces expériences. De tester des choses assez simples. De maîtriser la narration de petites histoires. Je ne faisais pas des clips de photographes mais plutôt des courts-métrages. Et c’est vrai que j’aimais me servir de la musique pour que les artistes deviennent des acteurs. J’ai beaucoup appris sur le rapport entre la musique et l’image. Et ça m’a forcément été utile dans le film, notamment pour raconter l’histoire de Claude François à travers ses chansons.

Ce qu’il y a de très intéressant dans CLOCLO, c’est son sous-texte social. Dans un sens, c’est un film très prolétaire…
Il y a toujours une dimension sociale dans mes films. Mon père était mineur de charbon ; je suis lorrain. CLOCLO montre que lorsque tu pars d’en bas, il faut s’accrocher pour y arriver. J’aime beaucoup le côté populaire de Claude François. Quand il est en haut, quand il a la célébrité et l’argent, il a peur de retomber donc il se perd.

D’accord, mais si je parle de « film prolétaire », c’est qu’on voit bien qu’il comprenait la valeur de l’argent. Il ne le cramait pas vraiment. Il le réinvestissait, le faisait fructifier.
Tout à fait, vous avez raison. Mais ça ne l’empêchait pas de l’utiliser pour son plaisir aussi, pour s’acheter des belles bagnoles. Mais cela fait partie de sa revanche sociale, c’est juste.

Est-ce que c’est difficile de réaliser un film qui n’a pas vraiment… d’enjeux ?
Il y en a plein au contraire. Il y a du suspense. Vous dites ça car vous connaissez la fin. Mais j’ai filmé CLOCLO comme un thriller. Regardez la scène où il poursuit longuement Isabelle en voiture : on raconte l’histoire d’un prédateur.

D’accord, mais c’est un scénario en constante progression.
C’est effectivement une construction en entonnoir. Dont le rythme est dicté par le personnage. Le spectateur est totalement pris dans un tourbillon Claude François. Le début est très elliptique, puis on le suit jour par jour, heure par heure, seconde par seconde.

D’ailleurs, parlons de l’exercice de l’ellipse, toujours difficile dans un biopic. Ont-elles été dictées par le scénario ou par le montage ?
Dès le scénario. J’ai beaucoup travaillé avec Julien Rappeneau, le scénariste. Et il avait déjà, dans le script, une vraie maîtrise de l’ellipse. Les plans séquences y étaient décrits. Le coté cut, dans les années 70, lorsqu’on multiplie les gros plans, pour découvrir Cloclo en sorte de caricature… C’était déjà là.

Une fois qu’ils ont vu le film, certains spectateurs trouvent Claude François très antipathique, d’autres particulièrement sympa malgré ses névroses…
Au moins, on cerne assez bien le personnage. On comprend d’où il vient. On comprend les ruptures. Sa relation difficile avec son père, ses liens avec sa mère irresponsable mais aimante. La blessure due à sa première rupture. Puis, il réussit mais fait morfler tout le monde. C’est un personnage contradictoire. Parfois il est attachant, parfois il est exaspérant. On a du respect pour lui. On ne peut pas nier que c’est une star. Mais c’est un vrai personnage de cinéma.

Mais vous, vous le jugez ?
Non. Je le regarde comme un être humain. C’est un personnage plein, riche. J’ai essayé de comprendre les rouages du type, le mécanisme. Comment il a pu intégrer le patrimoine français.

Je dois vous avouer que j’ai une frustration : dans CLOCLO, on ne cerne par forcément l’impact que Claude François a eu sur la société française. Par exemple, il a été le premier à inviter des femmes noires à la télévision, mais c’est juste évoqué en une phrase, au détour d’un dialogue. Je trouve que CLOCLO est un film très clos.
Il me semblait important de ne pas être trop explicite. Il faut coller au point de vue choisi : celui de Cloclo. Regarde : on lui dit que dans six mois, il est mort. Il crée les Claudettes. Il veut louer le studio de la Motown pendant six semaines, or c’est le premier blanc qui pourrait le faire. C’est important de le savoir, mais c’est primordial de ne pas le surligner. Après, je ne suis pas en train de vous dire qu’on n’a pas essayé au scénario. Mais l’angle du film, c’était l’intime. Il fallait se concentrer sur lui, ses souffrances, ses névroses.

Y a t-il eu des réserves ou de l’autocensure lorsqu’on dépeint quelqu’un qui fait partie du paysage français ?
Non, aucune. La famille François a été très ouverte. De toutes façons, c’était clair dès le début. S’il y avait eu des sujets qu’on n’avait pas le droit d’aborder, que ce soit le faux malaise ou le fait qu’il ait caché son deuxième fils, alors on n’aurait pas fait le film. Après, il faut faire attention à ne pas en rajouter. On a pris soin de ne pas en faire des caisses sur son côté tombeur. En revanche, dans la version longue qui sera disponible sur le DVD, on appuie davantage sur certains boutons, comme sa sexualité, son rapport aux femmes et puis son rapport à ses musiciens et ses névroses…

Votre film est visuellement époustouflant. Diriez-vous que votre budget de 20 millions d’euros a été confortable ?
C’est beaucoup de boulot pour rester dans les prix. J’ai la même équipe depuis 15 ans ce qui me permet de beaucoup travailler en amont. Les reconstitutions des années 50, 60 et 70, les 3000 voitures d’époque qu’on a utilisées, c’est finalement ce qu’il y a de plus cher. Les producteurs ont tout consacré à l’image. Tout l’argent est à l’écran. Mais, dans CLOCLO, il n’y a pas de grosses stars, alors déjà, tu enlèves les gros cachets. Un film comme ça, aux Etats-Unis, ce n’est pas le même budget. Ils seraient 12 000 dans l’équipe, ils seraient surpayés. Je fais CLOCLO pour 20 millions d’euros. Ils le feraient pour 100 millions de dollars.

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