MOI, DÉPUTÉ : chronique

28-08-2012 - 11:00 - Par

La politique spectacle ridiculisée dans une comédie sardoniquement idiote et diablement efficace, portée par deux acteurs en pleine possession de leurs moyens.

S’il fallait choisir un mot pour qualifier la carrière de Jay Roach, « schizophrénique » se révélerait sans aucun doute le plus adéquat. Au cinéma, le bonhomme a livré certaines des pochades les plus grasses de ces quinze dernières années, avec les trois volets AUSTIN POWERS, les deux premiers MON BEAU-PÈRE ET MOI, ainsi que le bien moins réussi remake du DÎNER DE CONS, THE DINNER. Mais à la télévision, en l’occurrence HBO, Roach s’est au contraire consacré à des projets plus sérieux, explorant l’histoire politique américaine contemporaine : RECOUNT – sur le recompte des voix lors de l’élection présidentielle ayant opposé Bush à Gore en 2000 –, GAME CHANGE – sur la campagne menée en 2008 par John McCain et Sarah Palin face à Obama –, ou encore l’attendu K BLOWS TOP – sur la venue aux USA de Nikita Khrouchtchev en septembre 1959. Autant dire qu’il était devenu quelque peu difficile de cerner le bonhomme.

Jusqu’à ce qu’il se lance dans MOI, DÉPUTÉ, projet réunissant les deux mamelles de son travail : la gaudriole et la politique. Ou comment Cam Brady (Will Ferrell), député de Caroline du Nord, brigue un nouveau mandat, jusqu’à ce qu’il fasse une énorme bourde en public. Si bien que deux industriels milliardaires décident de pousser un simple civil, Marty Huggins (Zach Galifianakis) à se présenter contre lui. La guerre est alors déclarée entre les deux hommes, le politicien chevronné amateur des coups bas, et l’idéaliste un peu idiot, père de famille peu habitué à la vie politique. S’ouvrant sur une citation de Ross Perot, candidat à la présidentielle de 1988 (« La guerre a ses règles. Le catch a ses règles. Mais en politique, il n’y a pas de règle qui vaille »), MOI, DÉPUTÉ affiche clairement ses couleurs : ni Dieu ni Maître, si ce n’est le but claironné haut et fort de ridiculiser la politique spectacle qui régit les démocraties occidentales depuis désormais deux décennies. Un propos face auquel le titre français s’avère bien moins prégnant que celui américain, THE CAMPAIGN, qui renvoie directement à la campagne présidentielle US actuelle, pour laquelle Barack Obama et Mitt Romney ont déjà dépensé la bagatelle de 500 millions de dollars chacun. En temps de crise.

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C’est toute cette mécanique de collusion entre argent et pouvoir que démonte ici Jay Roach, en convoquant autant le cortège de consultants en image (formidables Dylan McDermott et Jason Sudeikis) qui faussent la donne en modelant les candidats sur la prétendue attente du public, que les puissants industriels qui dans l’ombre tirent les ficelles d’élections aussi peu démocratiques que dans n’importe quelle république bananière. Ne pas croire pour autant que MOI, DÉPUTÉ se fasse pamphlet poujadiste où le « tous pourris » serait roi. Au contraire, Jay Roach déploie des trésors d’imagination pour rappeler que l’action politique devrait être au centre des espoirs citoyens et des bouleversements sociétaux les plus importants. Mais il le fait avec un esprit de sale gosse bien décidé à tirer sur tout ce qui bouge : le racisme ordinaire de l’Amérique – via un personnage de femme de maison asiatique forcée à parler comme la Mammy d’AUTANT EN EMPORTE LE VENT, histoire de « rappeler le bon vieux temps » à son patron –, les scandales sexuels et l’appétit libidineux des politiciens, la corruption des corporations globalisées, les fausses promesses de campagne, les fameux « éléments de langage » ou encore l’utilisation malhonnête de thèmes aussi sérieux que les délocalisations et l’exploitation de peuples émergents. Le tout via un scénario redoutablement écrit qui, même s’il verse parfois trop dans un angélisme bêta loin de l’optimisme subtil de Capra, ménage autant de surprises que de rebondissements.

Sans compter l’avalanche de gags cracra poilants, de vannes en-dessous de la ceinture faisant mouche, et de situations slapsticks inventives. Evidemment, les rouages essentiels de l’efficacité de MOI, DÉPUTÉ se nomment Will Ferrell et Zach Galifianakis. Chacun nous refait son numéro habituel (le grand dadais débile, méchant et hystéro pour l’un, le naïf perché pour l’autre) et sans doute aurait-il été plus audacieux de les voir inverser leurs rôles. Mais dirigés comme jamais, leur prestation porte MOI, DÉPUTÉ de bout en bout, l’empêchant de sombrer dans les travers désormais trop habituels de la comédie US : la redondance et la complaisance. Car MOI, DÉPUTÉ, monté au cordeau et affichant 97 petites minutes au compteur, part tambour battant pour ne jamais s’arrêter. Une comédie US comme on l’aime et qui, si elle aurait pu être encore meilleure, s’avère tout de même l’une des plus remarquables de l’année.

De Jay Roach. Avec Will Ferrell, Zach Galifianakis, Dylan McDermott. Etats-Unis. 1h37. Sortie le 29 août

Note de la rédaction : 3,5

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