ZERO DARK THIRTY : Chronique

23-01-2013 - 10:23 - Par

Les obsessions de l’Amérique décryptées par Kathryn Bigelow : captivant, affûté et dépassionné. En un mot : grand.

En se penchant sur l’exécution d’Oussama Ben Laden moins de deux ans après les faits, Kathryn Bigelow risquait de trébucher sur l’immédiateté de sa démarche. Alors ZERO DARK THIRTY se devait d’être régi par un inébranlable recul. Pourtant, la réalisatrice de DÉMINEURS n’a guère été aidée dans sa tâche : avant même le tournage, son projet fut la cible d’une polémique politicienne le réduisant à un pamphlet pro-Obama, rendu possible par un accès à des dossiers top secrets. Bigelow s’était alors murée dans le déni et le mystère. Maintenant que le film se dévoile, il est enfin temps de parler cinéma, et de balayer d’un revers de main les scandales : ZERO DARK THIRTY refuse tout spectacle, toute effusion de patriotisme et, au contraire de nombre de films sur le (ou post) 11-Septembre, choisit un regard rigoureusement journalistique, presque dénué de toute émotion, voire de point de vue. Du moins en surface. En suivant les personnages de Maya (Jessica Chastain, excellente), inspirée d’une vraie agent de la CIA, et de Dan (l’immense Jason Clarke), chargé d’interrogatoires musclés, qui traquent tous les deux Ben Laden pendant dix ans, Bigelow et son scénariste Mark Boal leur font incarner l’Histoire certes, mais évitent pour autant de l’interpréter. Les faits, rien que les faits : briefings, torture, enjeux politiques et géopolitiques sont ici livrés bruts, sans commentaire, par des personnages ni héroïques ni sympathiques, en une narration complexe dont il faut soi-même jauger les tenants et aboutissants. Un récit dense en forme de nébuleuse fascinante – car nous entraînant de l’autre côté du miroir – qui avance par à-coups déstabilisants mais extrêmement réalistes. ZERO DARK THIRTY pourrait même être qualifié d’anti- événementiel, Bigelow préférant à toute frime une fonctionnalité redoutable (mais discrètement virtuose), notamment dans le raid final. Des partis pris gagnants, car en observant son sujet avec une froide distance, la cinéaste parvient à analyser sans jugement les obsessions de son pays. Au travers de la personnalité de Maya, Kathryn Bigelow dresse en effet le portrait d’une nation qui se croit certaine de ses valeurs, parfois jusqu’à l’hystérie, et qui pense se trouver un but dans la vengeance et la mort de Ben Laden. Mais qui n’en ressort qu’exsangue et peu satisfaite. Ce point de vue, la cinéaste ne l’assène jamais. Elle le dissémine dans des détails subtils. ZERO DARK THIRTY en ressort grandi et noble : tendu sans jamais jouer la carte du thriller, engagé tout en étant apolitique, objectif mais fiévreux, voilà un film d’une richesse inépuisable et d’une droiture indiscutable qui marquera non seulement l’année, mais aussi son époque.

De Kathryn Bigelow. Avec Jessica Chastain, Jason Clarke, Kyle Chandler. États-Unis. 2h37. Sortie le 23 janvier

 

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