MUD : chronique

01-05-2013 - 10:18 - Par

Une fable bouleversante sur l’amour, l’enfance et le sud des Etats-Unis, à mi-chemin entre Mark Twain et Steven Spielberg.

Une fois tous les dix ou quinze ans, émerge un auteur dont l’identité l’impose immédiate- ment comme un maillon essentiel de son époque et une composante indéniable de notre futur de cinéphile. À 34 ans et en deux films – SHOTGUN STORIES (2007) et TAKE SHELTER (2011) –, Jeff Nichols a fièrement mérité ce titre, qu’il conserve haut la main avec MUD. Lors d’une virée sur une île isolée au milieu du Mississippi, Ellis (Tye Sheridan) et Neckbone (Jacob Lofland), 14 ans, rencontrent Mud (Matthew McConaughey), qui attend là de retrouver l’amour de sa vie, Juniper (Reese Witherspoon). Touchés par la quête romantique de cet homme à l’aura fascinante, les deux adolescents entreprennent de l’aider… En situant son récit sur les rives du Mississippi et en donnant la vedette à deux enfants aussi rêveurs que pragmatiques, Jeff Nichols remonte à l’une des sources du mythe américain : les deux héros de Mark Twain, Tom Sawyer et Huckleberry Finn. MUD pourrait ne flirter qu’avec le film d’aventures et écraser déjà la concurrence, tant les prestations de ses acteurs tutoient le sublime. Ce serait sous-estimer la densité du cinéma de Nichols, qui pose son regard sur une Amérique servant généralement de croquemitaine hollywoodien : celle des rustres à pickups, subsistant de petits boulots. Pas de condescendance dans MUD, évidemment. Nichols, natif de l’Arkansas, explore son Amérique comme il l’avait fait dans ses deux précédents films : avec la plus poignante des objectivités et sans la volonté de lui tirer le portrait. Elle est là, elle vit devant lui, fragile et digne et, pour toute déclaration d’amour, il lui offre un héros fantasmagorique en la personne de Mud, mentor improbable de deux gamins aux foyers instables – les parents d’Ellis se déchirent, ceux de Neckbone sont décédés. L’écriture, remarquable, dévoile la complexité du regard de Nichols sur l’amour, le sacrifice, le lien à la nature ou l’héroïsme, tandis que la mise en scène – tantôt élégiaque, tantôt urgente – portée par le débit du Mississippi, mène peu à peu Ellis et Neckbone vers l’âge adulte. Le cinéaste s’impose en observateur averti et subtil de l’enfance, en héritier direct de Steven Spielberg. Si des ponts unissaient SHOTGUN STORIES et TAKE SHELTER à SUGARLAND EXPRESS et RENCONTRES DU TROISIÈME TYPE, MUD renvoie plus directement à E.T. Nichols chemine sur un territoire d’émotions incroyablement puissantes, poussant le spectateur à craindre le moment où il devra quitter ces personnages. Un cinéma qui a digéré d’imposantes influences pour les transcender, convoque des genres hétéroclites sous une même bannière et s’avère gracieusement partageur, sans connivence putassière. Ni plus ni moins qu’un bouleversant chef- d’œuvre, dont on se demande comment il a pu repartir bredouille du Festival de Cannes.

De Jeff Nichols. Avec Matthew McConaughey, Tye Sheridan, Reese Witherspoon. États-Unis. 2h10. Sortie le 1er mai

 

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